VOUZIERS
Un enfant de Vouziers, Hippolyte Taine
par Denis TATINCLAUX
(extraire)
Je suis persuadé que ce qu’il restera de Taine,
c’est avant tout ce qu’il a mis inconsciemment
de lui-même dans chacun de ses livres.
Philippe SOUPAULT
Lorsqu’on lit un ouvrage traitant de la pensée, de l’art ou de la critique littéraire au XIXe siècle, on ne peut manquer d’y trouver le nom d’Hippolyte Taine. Philosophe, critique, historien, le « grand bûcheron » (ainsi nommé par Edmond About, son condisciple de l’École Normale Supérieure) occupe une place de choix dans le monde des idées de son temps. Parmi les grands penseurs et les grands théoriciens du siècle, le nom de Taine côtoie ceux de Sainte-Beuve, Renan ou encore Michelet. Comme ce dernier, les racines d’Hippolyte Taine sont profondément ardennaises. Il écrit en 1867 : « Je suis né dans les Ardennes et […] je les aime ; pourtant je n’ai d’elles que des souvenirs d’enfance.» L’élaboration d’une œuvre colossale et la reconnaissance qui suivra laisseront, il est vrai, loin derrière les premières années vouzinoises. Pourtant, l’empreinte laissée par la terre natale apparaîtra souvent en filigrane dans ses écrits.
Les Taine sont originaires de Barby, village du sud-ardennais proche de Rethel. C’est dans cette ville que Joseph Taine s’établit en 1675. Il y occupe la charge d’échevin-gouverneur. L’arrière grand-père d’Hippolyte, Pierre Taine, homme de grande culture, avait été surnommé par les Rethélois « Taine le philosophe ».
Jean-Baptiste Taine, le père d’Hippolyte, achète une étude d’avoué à Vouziers en 1826. C’est dans ce chef-lieu d’arrondissement, à une trentaine de kilomètres de Rethel, que le futur homme de plume voit le jour le 21 avril 1828. Il y passera toute son enfance, entre Argonne et Champagne : « [J]’habitais sur la frontière de deux pays, l’un vert et beau, l’autre terne et laid, à Vouziers, limite de la terre blanche et de la terre brune. Là finit la vraie Champagne et commencent les vraies Ardennes. »
La famille de Taine habitait au centre de Vouziers, dans l’actuelle rue Chanzy. De leur demeure ne subsiste plus aucune trace, la guerre de 14-18 l’ayant complètement détruite. Une plaque fixée sur l’actuel bureau de Poste rappelle que c’est à cet endroit qu’est né « Hyppolite » (sic) Taine. Aujourd’hui, une des écoles primaires de la ville porte également, gravé sur sa façade, le nom de l’illustre Vouzinois, avec les lettres de son prénom dans le bon ordre ! On peut aussi admirer sur la place Carnot le buste de l’écrivain et emprunter la rue Taine qui mène sur les rives de l’Aisne.
L’enfance d’Hippolyte fut paisible et heureuse. Il accompagnait souvent son père en voiture, sillonnant avec lui la campagne vouzinoise. Mais c’est la forêt, cette grande forêt d’Argonne, qui le ravit. Son amour de la nature et tout particulièrement des arbres, c’est ici, entre Vouziers et Grandpré qu’il naîtra. Sa famille possédait une propriété à Beaurepaire, lieu-dit de quelques habitations cerné par la forêt. Il parle de ce lieu paradisiaque dans une lettre adressée à sa sœur en 1852 : « J’imagine que vous irez bientôt à Beaurepaire, la campagne verdit d’une manière charmante. En passant par le moulin de Longwé, il y a un petit sentier qui monte dans les bois et rencontre souvent un petit ruisseau, avec de grandes clairières pleines d’herbes épaisses. Il n’y a rien de plus solitaire et de plus charmant. » Situé sur la route de Grandpré, Beaurepaire de nos jours a gardé tout son charme. Il invite le promeneur à emprunter ses chemins forestiers bordés de châtaigniers.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.