VINCENNES
Mirabeau, le prisonnier amoureux
par Béatrice DIDIER
(extrait)
Mirabeau séjourna à Vincennes, contraint et forcé. Comme d’autres hommes célèbres, comme le marquis de Sade, il fit partie des prisonniers du château. Rien de particulièrement agréable donc pour lui dans cette résidence dans notre actuel Val-de-Marne ; Mirabeau pénétrera dans le tristement célèbre donjon, non par la volonté du peuple, mais par celle d’un père et par la «force des baïonnettes».
Il nous faut remonter à 1774, année funeste. Le père e Mirabeau avait obtenu une lettre de cachet contre son fils. «Le jeune gentilhomme provençal» avait été arrêté à Manosque, et enfermé au château d’If en septembre. En 1775, il est assigné en résidence au fort de Joux, près de Pontarlier. Là, il rencontre Sophie de Ruffey, mariée à M. de Monnier. Sophie et Mirabeau s’aiment, deviennent amants, se rejoignent en Hollande en septembre 1776. En mai 1777, ils sont ramenés en France. Mirabeau est incarcéré à Vincennes, tandis que Sophie, en résidence surveillée par la police, met au monde une fille, puis est envoyée au château de Gien. Mirabeau restera au château de Vincennes jusqu’en 1780, date à laquelle il recouvre sa liberté après un long procès. La suite de son existence fut encore fort mouvementée. Mirabeau est homme de passions violentes et, en 1784, c’est en Angleterre qu’il fuira, cette fois-ci en compagnie d’Henriette-Amélie de Nehra. En 1785, il part, après avoir écrit des pamphlets (que Beaumarchais appelle des «mirabelles»), pour la cour de Frédéric II qui lui apparaît, de loin, comme un «despote éclairé», il séjourne à Berlin et rentre à Paris en 1787. La situation politique est tendue. Necker tente de rétablir un peu d’ordre dans les finances royales. Mirabeau, qui ne partage pas ses idées, écrit des Lettres sur l’administration de M. Necker qui l’obligent à fuir vers la Belgique puis de nouveau en Prusse. À partir de 1788, son activité politique devient plus intense : il anime le club de la «Société des Trente» ; en avril 1789, il est élu représentant du tiers état et devient le grand orateur de l’Assemblée constituante. Ses discours sont parmi les plus beaux textes d’éloquence française et leur influence est déterminante sur les débuts de la Révolution. Terrassé par une crise d’apoplexie, il meurt le 2 avril 1791. Son dernier discours sera lu par Talleyrand.
Les années que Gabriel-Honoré Riqueti de Mirabeau aura vécues au château de Vincennes, de vingt-huit à trente et un ans (1777-1780), représentent donc des années d’immobilité forcée dans une existence par ailleurs fort mouvementée. Il nous reste de cette période un document de toute première importance : les lettres d’une passion brûlante qu’il envoie à Sophie de Monnier ; Sophie n’est pas la seule correspondante de cette période, il s’adresse aussi au préfet de police, Lenoir, et même au roi, pour tenter d’obtenir sa délivrance.
Ces lettres constituent un appel constant à la liberté. Le jeune Mirabeau avait connu les institutions de l’Ancien Régime dans leur aspect le plus répressif et avait de bonnes raisons de les critiquer. Et d’abord l’arrestation arbitraire, sous l’effet d’une lettre de cachet. Ce que l’on ne sait pas toujours, c’est que ces lettres de cachet étaient souvent réclamées par les familles elles-mêmes quand elles voulaient se débarrasser d’un de leurs membres qui causait des scandales ou même simplement qui dépensait d’une façon jugée excessive. La lettre de cachet était alors l’instrument de règlements de comptes, et la monarchie était parfois amenée à modérer l’ardeur répressive des familles. C’est bien le cas ici. Le père de Mirabeau, l’économiste appelé «l’Ami des hommes», d’après le titre de son livre célèbre, surnom qui suscite l’ironie amère de son fils, était un tyran domestique qui ne rêvait que de faire enfermer son entourage, femme, fille, fils : rien ne résistait à son ire. Le ministre Malesherbes avait tenté, en vain, de le calmer. Il ne décolérait pas. Aux griefs déjà anciens – le jeune Mirabeau avait contracté beaucoup de dettes – s’ajoutait le scandale de l’enlèvement de Sophie de Monnier.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Val-de-Marne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2002