VIAM
Richard Millet, la célébration de la langue,
par Patrick Mialon
(extrait)
Pas plus que la carte ne recouvre le territoire, l’œuvre de Richard Millet ne recoupe les limites du plateau de Millevaches où on l’assigne généralement à résidence. On peut même dire que, par bien des côtés, elle les outrepasse allégrement. Oh certes ! Viam et sa montagne – la colline de Siom –, les petites villes et villages cités dans nombre d’écrits sont on ne peut plus repérables dans l’espace, mais c’est dans le temps et dans la Geste littéraire qu’ils ne coïncident pas. Millet nous parle le plus souvent d’une époque aussi distante que proche – irrévocablement révolue toutefois – où les Douglas n’avaient pas encore colonisé le plateau dénudé ; où la fêlure, la profondeur, l’âme trop grande ou mal taillée des personnages pouvaient se déployer, entrer en résonance avec les éléments primordiaux.
Car il y a du tragique dans cette œuvre. Du tragique et de la grandeur. Si le petit monde des gens de peu qui peuplent les romans de l’auteur – des Pythre à Antoine Coudert, en passant par les sœurs Piale – ne relève pas socialement de ce registre (ils n’en ont ni le titre, ni la vêture ni l’ego boursouflé), ils en possèdent indiscutablement la dimension ontologique, l’épaisseur existentielle. Pourtant, cette époque-là, ces paysages internes-là, ne sont pas si lointains. Quelques générations à peine. Une éternité en fait. Car c’est ça la nostalgie : l’Irrattrapable à portée de main. Ulysse peut revenir à Ithaque, l’île n’a pas changé de place mais elle n’est plus la même. Comme disait Jankélévitch, c’est « une patrie d’un autre temps ». Cette « patrie d’un autre temps », beaucoup d’écrivains nés dans ces contrées d’après-guerre l’ont bien connue et en portent la marque. Il faut bien dire que jusqu’aux années 1980 il n’y avait pas beaucoup à gratter pour trouver, derrière le vernis moderne, l’intacte éphéméride nous reliant, sinon à la plus haute médiévalité, du moins à l’Ancien Régime.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009