Versailles écrivains

VERSAILLES

Les écrivains chez Louis XIV
par Jean-Pierre BABELON
(extrait)

 

 

Une fois devenu le séjour d’élection du jeune Louis XIV, le château de Versailles allait attirer tout naturellement les écrivains. Les complots aristocratiques contre le pouvoir unificateur de Richelieu, prolongés dramatiquement par les guerres de la Fronde contre Anne d’Autriche et Mazarin, avaient parfois servi l’indépendance des hommes de lettres attachés à la protection de quelques grands seigneurs. La montée au zénith d’un jeune prince saisissant à vingt-deux ans les commandes de l’État créait une situation nouvelle. « Vous dirai-je en ce lieu, ce que c’est qu’un jeune homme de vingt-deux ans ? — écrit Bossuet dans son Panégyrique de saint Bernard —Quelle ardeur, quelle impatience, quelle impétuosité des désirs ? ». Cette impatience se porta sur la conquête d’une gloire personnelle qui devait rejaillir sur le royaume tout entier, grâce au brillant éclat du foyer allumé par le nouveau héros. Le château agrandi et embelli, entouré de ses jardins magnifiques, était destiné à accueillir, réunis dans une admiration commune, princes et courtisans, artistes et hommes de lettres.

C’est que la littérature est nécessaire au grand dessein du roi. La culture antique qu’elle véhicule donne au prince ses nouveaux habits et en utilisant le langage des mythes et les allusions à l’histoire antique elle procure l’argumentaire nécessaire pour exalter sa valeur, ses ardeurs conquérantes et ses victoires sur ses ennemis tout comme sa sollicitude à l’égard de ses peuples. La métaphore solaire, tôt retenue, est exploitée par les écrivains nourris de mythologie, qui embouchent les trompettes de la Renommée pour annoncer partout la gloire du Phébus français.

On aurait tort, cependant, de ne voir dans cet empressement à répondre aux désirs du roi de Versailles que l’appât du gain, à l’heure où le prince distribue les pensions avec une générosité qui ne sera plus jamais égalée. Certes Louis XIV se plaît à être loué, il l’a suffisamment  laissé entendre, mais après les règnes des deux premiers Bourbons qui n’ont pas porté à la littérature un véritable intérêt personnel, les écrivains se sentent désormais encouragés, ils ont conscience de participer à l’élaboration d’une oeuvre commune, de bâtir un nouvel âge de l’histoire universelle de l’Esprit, dans le langage du temps « un siècle », celui de Louis le Grand, susceptible d’égaler le siècle d’Auguste, selon Charles Perrault, ou même de le surpasser, selon Boileau. Siècle français donc : une littérature et une langue nationales, tout comme les arts libérés de la suprématie italienne — architecture, peinture, sculpture, musique — peu à peu reconnus et encadrés dans les nouvelles académies qui témoignent de la reconnaissance des oeuvres de l’esprit par les pouvoirs publics, reconnaissance inaugurée par le cardinal de Richelieu avec la fondation de l’Académie française en 1634.

À Versailles, Louis a réuni les meilleurs artistes pour renouveler le château et les jardins, Le Vau, Le Brun, Le Nôtre, et d’autres créateurs pour y organiser des fêtes. Le mouvement est donné en 1664 avec les Plaisirs de l’Isle enchantée, puis en 1668 avec le Grand Divertissement royal, enfin avec la Fête de 1674, journées glorieuses dont les éphémères instants furent éternisés, à défaut de caméras de télévision, par les séries de gravures d’Israël Silvestre. Le metteur en scène était Vigarani, le musicien, Lully, l’écrivain librettiste, Molière, auquel Louis XIV portait une admiration qui n’était pas feinte et qui fit représenter lors de ces fêtes une grande partie de ses comédies, la Princesse d’Élide, le Tartuffe, le Mariage forcé, George Dandin, jusqu’au Malade imaginaire. À Versailles le théâtre servait donc d’introduction à la littérature, et la tradition s’en poursuivit avec Racine, dont le roi appréciait à tel point l’oeuvre et la compagnie qu’il lui demandait de lui faire la lecture et le nomma son historiographe.

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