VEILHES
Paysage de Gaston Puel
par Éric Dazzan
(extrait)
Gaston Puel est né à Castres en 1924. Son enfance s’est déroulée à Lavaur où sa grand-mère paternelle l’élève après la mort de sa mère et le remariage de son père. Sa famille, enrichie par le commerce des œufs et volailles lors de la Grande Guerre, marquée par le décès au champ d’honneur d’un fils aîné, sera en partie ruinée par les spéculations boursières de la grand-mère. Son père et son grand-père qui auraient dû vivre en rentiers reviennent travailler la terre, la vigne essentiellement. La silhouette du vigneron « au chapeau cabossé », « dos au soleil » et s’avançant courbé « dans la vigne patrimoniale » reviendra de loin en loin dans l’œuvre du poète dont un recueil s’intitule significativement Le cep de la nuit. L’enfant est « chétif, pâlot, mais vif et moqueur, plutôt rieur et même farceur ». Son adolescence, selon les mots du poète, est heureuse et se déroule dans la liberté. Elle est vouée au sport. La poésie n’est alors qu’un « courant d’air dans la grisaille scolaire ». La seconde guerre mondiale et le grand désordre qui l’accompagne ouvrent pour les jeunes gens de sa génération un immense espace de liberté et de possibles. Le poète évoque ce moment dans L’incessant, l’incertain[v] :
« Soudain dans cette matinée lustrale les cloches des deux paroisses retentirent avec une lourdeur insolite, une insistance inhabituelle. Des hommes en bleu de chauffe, qui tendaient un fil électrique entre deux platanes, descendirent de leur échelle. Des cyclistes mirent pied à terre. On aurait cru qu’un convoi funèbre invisible les croisait. C’était la même stupeur sur les visages. Enfin le trottoir s’anima, des mots résonnèrent : c’est le tocsin, mon Dieu, la guerre, malheur, mobilisation, mon Dieu, tocsin…
Une immense vacuité s’emparait du monde, le submergeait. Nous étions de grands enfants, cette vague déferlante de malheur nous épargnerait. Déjà avec leurs visages de noyés les grandes personnes ne nous en imposaient plus. L’air semblait de plus en plus limpide. C’était le 3 septembre 1939. Le ciel était vide, sans oiseaux, le ciel était comme un fou rire. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Midi-Pyrénées, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.