TROUVILLE
Marguerite Duras de Trouville
par Christiane BLOT-LABARRÈRE
(extrait)
« J’aime beaucoup le voyage dans les terres des marais, les sources, les eaux, l’eau, le vent comme dans L’Été 80. »
Marguerite DURAS, Le Monde extérieur.
Marguerite Duras habitait au 5 de la rue Saint-Benoît, dans le 6e arrondissement de Paris. Vers la fin des années 50, elle acquit une demeure à Neauphle-le-Château. Puis, en 1963, elle acheta un appartement à Trouville, aux Roches Noires, non loin de celui où avait vécu Proust.
Dès avant cette date, elle se rendait en Normandie et s’était éprise de la Côte fleurie. Si elle s’en éloignait, elle éprouvait le sentiment « de perdre de la lumière » et affirmait : « Trouville. C’est ma maison maintenant. Ça a supplanté Neauphle et Paris. » (La Vie matérielle, 1987). Trouville donc, de façon régulière à partir des années quatre-vingt, où elle élabora nombre de ses livres, du Ravissement de Lol V. Stein (1964) à Yann Andréa Steiner (1992) ; Les Roches Noires, cadre d’Agatha et de L’Homme atlantique (1981) ; les plages « illimitées » où elle tourna La Femme du Gange (1973). Trouville, entre tempêtes et embellies, source de son inspiration, sorte d’espace insulaire d’où elle ne voulait que contempler le ciel et la mer. Et puis aussi, écrire…
Non point qu’elle ait méconnu d’autres régions du Calvados, mais, chez elle, on n’aperçoit pas d’attrait avoué pour le Pays de Falaise ou le Pays d’Auge, par exemple. L’on chercherait en vain une évocation de pommiers en fleurs, de haras, de grasses prairies, de châteaux aux donjons carrés. D’une part, elle répugne à la description, lui préférant l’allusion, le détail suggestif, voire, pour emprunter au langage de la peinture, une manière d’impressionnisme. D’autre part, elle a élu son territoire de prédilection : le littoral normand. Ce n’est point hasard si sa prose brève, rythmée, fait songer aux vagues, à la ligne brisée de leurs crêtes, que l’on voit au bord de la Manche où elle m’invita à passer une journée.
À peine entrée chez elle, je fus aussitôt conduite sur le balcon d’où elle me fit longuement admirer la vue magnifique. Plus tard, franchissant sa porte palière, « il y a là », me dit-elle en levant la tête, « un beau puits de lumière » et, prononçant cette phrase, elle laissait deviner en elle l’écrivain amoureux des mots. J’étais saisie par la simplicité de son accueil, par sa voix grave à la diction si particulière, par l’éclat de ses yeux verts inquisiteurs et ensuite par les multiples questions personnelles qu’elle me posait, regrettant que mon plus jeune fils ne m’eût pas accompagnée : « elle adorait les enfants »… !
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Calvados, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2004