Arthur de Gobineau à Trie-Château

TRIE-CHATEAU

Arthur de Gobineau à Trie-Château
par Marie-José SALMON
(extrait)

Quel passant parcourant la grand’rue de la pittoresque bourgade de Trie, remarquant la haute tour d’aspect féodal qui subsiste du château lui-même, aujourd’hui propriété de la commune, la poterne qui enjambe la rue et que Gobineau fit classer, l’église qui porte bien la marque de la restauration qu’il lui apporta, quel promeneur se souvient encore que ce château fut pendant vingt ans la propriété d’Arthur de Gobineau et qu’il y écrivit quelques-unes de ses œuvres les plus importantes ?

Un peu plus loin, un curieux monument d’Henri Gréber représente Jean-Jacques Rousseau attablé devant sa muse et nous rappelle que le philosophe séjourna lui aussi à Trie comme l’indique une inscription dans la chambre de la tour du château, J.-J. Rousseau -22 juin 1767- 5 juillet 1768.

S’il est amusant de savoir, comme l’a fait remarquer Léon Deffoux, que le plébéien Rousseau et l’aris- tocrate Gobineau honorèrent l’un et l’autre cette maison de leur présence, il est un peu regrettable que rien ne rappelle le long séjour du grand écrivain que fut Arthur de Gobineau, maire de Trie et conseiller général de l’Oise.

Et cependant les souvenirs abondent dans la correspondance de Gobineau dont d’innombrables lettres furent écrites de «Trye» (orthographe de l’époque) à ses amies athéniennes, les sœurs Dragoumis, dans celle de Mme Gobineau, dans les Mémoires de Diane de Guldencrone, leur fille.

En 1857 donc, grâce à un héritage, Gobineau achète Trie. On cherche une maison dans l’Eure ou dans l’Oise et finalement c’est l’ancienne demeure de la duchesse de Longeville et du prince de Conti qui est choisie.

Disons simplement que l’antique forteresse, point stratégique placé sur la frontière de la Normandie et de la France, avait été reconstruite au xve siècle. La duchesse de Longeville l’avait remaniée et, au bout d’une allée du parc ouvrant sur la route de Beauvais, avait fait bâtir une très belle porte monumentale en pierre de taille qui existe encore. «Au bout d’une allée du parc qui probablement formait alors avenue, ouvrant sur la route de Beauvais, se trouvait une grande et majestueuse porte rappelant celle des grands hôtels du faubourg Saint-Honoré, ambassade d’Angleterre et autres, avec des piliers en pierre de taille blanche et surmontée des armoiries de Bourbon-Longeville. La duchesse y a demeuré longtemps ; et le Grand Condé y venait souvent. La Grande Mademoiselle s’y arrêtait chaque année, en allant à Forges prendre les eaux ou bien en revenant.»

Voilà donc Gobineau heureux propriétaire d’une demeure ancestrale digne de la filiation qu’il se plaira à se donner lorsqu’en 1879, après avoir vendu Trie, il écrira la fameuse histoire de son ancêtre présumé Ottar Jarl. On sait qu’il s’efforcera de rattacher ses ancêtres au pirate Ottar par l’intermédiaire des comtes de Gournay, famille féodale de Normandie et d’Angleterre. Ainsi décrit-il longuement le Trie du XIIIe siècle dans son Histoire d’Ottar Jarl. «Quant au manoir, il est situé à vingt minutes de la rivière d’Epte et du haut de son donjon, on aperçoit les tours de Gisors. Un mouvement ne saurait se faire autour de la petite ville ennemie que le guetteur de Trye ne s’en aperçoive. La forteresse était placée à l’issue de la vallée, entre des bois épais et des marais entretenus par les petites rivières de l’Aunette et de la Troësne. L’ancienne voie romaine qui de Beauvais allait à Rouen, passait au travers de l’enceinte, disposée de façon à l’intercepter au besoin.»

Le Trie qu’avait connu Gobineau avait déjà perdu beaucoup de son aspect féodal depuis la restauration de 1820. Cependant la demeure était agréable et la famille de Gobineau, sa femme Clémence et ses deux filles Diane et Christine s’y plairont beaucoup. «Il y avait une fort jolie vue, c’était gai, le parc d’un hectare bien dessiné et tout entouré de murs, chose à laquelle maman tenait extrêmement. C’était une maison moderne, construite sur les ruines de la vieille forteresse aux trois tours, saccagée pendant la Révolution et adossée au donjon principal, resté seul debout.»

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.

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