Ernest Renan à Tréguier

TRÉGUIER, LOUANNEC

Sur les pas de Renan
par Jean Balcou
(extrait)

Renan est immense. On a peine à imaginer sa notoriété en Europe à la fin du xixe siècle et qu’il fut avec Victor Hugo et Alexandre Dumas l’auteur le plus lu de son temps, ce qui est d’autant plus remarquable que c’était un philosophe, un historien des religions, un grand orientaliste. Le best-seller que fut Vie de Jésus en 1863 fit de lui une star sentant le soufre car il y présentait un Jésus « homme incomparable ». L’inauguration du monument Renan-Athéna à Tréguier en 1903 face à la cathédrale se fit dans une atmosphère d’émeute et, un an après, le 19 mai, à la Saint-Yves, les catholiques bretons édifièrent sur les quais un « calvaire de réparation ». Ces événements eurent un écho national et international. C’est dans le contexte d’une œuvre multiple et gigantesque (un critique a parlé du « géant de Tréguier »), où l’érudit collabore avec l’écrivain séducteur, c’est dans un environnement européen et international, c’est dans toute une mémoire conflictuelle tant il a haï ou adoré, et, dans tous les domaines, souvent en visionnaire, secoué l’opinion, qu’il faut situer Renan à Tréguier, en Bretagne, dans le monde celtique.

Dans les Souvenirs d’enfance et de jeunesse de 1883 Renan a érigé Tréguier en véritable mythe. « Il me semble que j’ai au fond du cœur une ville d’Is », ainsi le branle est donné à la volée des souvenirs. Mal né, fils d’un marin qui sombre dans l’alcool pour se suicider en mer en ruinant la famille, il a pour lui d’être à la fois « aimé des fées » et d’avoir appris très tôt à « traverser l’âpre et mélancolique insomnie du banc de quart ». Il se fera plus pauvre qu’il ne fut pour mieux célébrer la communion avec sa ville natale, ancien évêché décapité, mais où l’on sent, au pied de sa belle cathédrale et le long de son cloître, « une forte protestation contre ce qui est plat et banal ». Ici, l’obscur Yves Hélori est devenu le grand saint Yves. Ici, le breton, la langue maternelle d’Ernest, qu’il pratiquera jusqu’à la fin, a donné des merveilles d’art populaire qui lui construisent toute une mythologie. Ici, s’est maintenu un collège ecclésiastique qui passe pour un des meilleurs du pays et où Ernest réussit de si belles études qu’il ne peut que devenir un membre éminent de l’Église. Prêtre ? Les Souvenirs font revivre la longue et terrible crise motivée par tout un travail critique, le démon de la raison, une volonté révolutionnaire, qui l’amènera à rompre avec la foi de sa jeunesse. Il ne reviendra à Tréguier que le 2 août 1884 pour présider un de ces dîners celtiques dont il fut le président à Paris et au cours duquel il fit un mémorable discours sur sa profonde fidélité à la Bretagne.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Bretagne Nord, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.

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