TOURCOING
Tourcoing et son Broutteux,
par Fernand CARTON
(extrait)
On dit que c’est Pascal qui inventa la brouette. Les gens du Nord n’en croient rien : pour eux, ce sont les Tourquennois. Cet humble moyen de transport a servi pendant des siècles à véhiculer les pièces d’étoffe que ces actifs paysans tissaient chez eux entre deux traites de leurs vaches. La brouette est le symbole de l’esprit si particulier de cette ville que l’industrialisation a fait grandir trop vite. François Cottignies surnommé Brûle-Maison, porte-parole des Lillois jaloux, a brocardé les gens de Tourcoing avec tellement de verve que, cent ans après sa mort, on inventait encore des histoires comme celle qui suit. Un Tourquennois s’en va à Lille porter ses pièces de tissu placées en travers de sa brouette. La porte de la ville n’étant pas assez large, le Tourquennois ne pense pas à les placer dans un autre sens et s’en revient tout penaud dans sa bourgade !
Mais un malin bonhomme vengea les Tourquennois des attaques d’un chansonnier devenu mythique. Jules Watteeuw, né en 1849 et mort quasi-centenaire en 1947, adopta par autodérision son pseudonyme de Broutteux (brouetteur). Il est le plus connu des auteurs du Nord, « un des types les plus achevés de l’identification mutuelle de l’écrivain et de sa ville, qui a servi de modèle à quantité d’autres poètes municipaux » (J. Landrecies). Pourquoi ce succès ? Et comment expliquer la survie du Broutteux jusqu’à nos jours ?
D’abord parce qu’il s’est construit une image de héros et de héraut d’une ville qui se croyait humiliée. Watteeuw n’était pas le premier patoisant à Tourcoing, mais aucun n’avait la qualité ni la personnalité qui s’imposait. Or, en 1880, il observa devant l’église Saint-Christophe un brave marchand, Jean-Baptiste Leruste surnommé Djustin, assailli le dimanche par des galopins qui criaient dans leur « patois » : « Djustin ! Donn’ mi inne couque à rogins (donne-moi un gâteau aux raisins) etc. » Un air original vint s’adapter aux cris. Mais Watteeuw hésite encore : il se rend à Lille pour demander l’avis du maître-chansonnier d’alors, Alexandre Desrousseaux, l’auteur de l’emblématique Petit Quinquin. L’accueil est glacial : on n’aime pas la concurrence chez les patoisants de cette époque ! Mais Jules continue quand même : les Tourquennois ont adopté sa chanson ! Deux ans après, il lance une pasquille d’actualité, longuement mûrie. C’est une scène satirique en vers, à la manière de Brûle-Maison dont une édition à grand tirage vient de paraître (1879). C’est L’Héritance (héritage), qui fait tordre de rire tous ceux qui mettent des noms sous ce texte à clefs.