TOULOUSE
L’apprentissage de l’âge d’homme à Toulouse
par Alain Vircondelet
(extrait)
C’est en octobre 1926 qu’Antoine de Saint-Exupéry rejoignit Toulouse, pour travailler dans la Compagnie Latécoère, dirigée d’une main de fer par le très redouté Didier Daurat. Jusqu’alors, Antoine n’a cessé de traîner sa mélancolie et son ennui dans des emplois qui n’étaient pas faits pour lui et qu’il avait acceptés dans l’idée de se marier avec la capricieuse Louise de Vilmorin. Mais les fiançailles furent rompues par la jeune libertine qui n’imaginait pas pouvoir passer sa vie avec un rêveur et un idéaliste, aristocrate certes, mais désargenté, elle qui aimait les salons, le luxe et la conversation… Saint-Exupéry traîne donc son ennui à Paris, où il a retrouvé sa chère cousine Yvonne de Lestrange qui l’héberge quai Malaquais. Il s’essaie, en attendant des jours meilleurs, à l’écriture, fréquentant pour cela les milieux intellectuels comme la fameuse « petite librairie grise » dirigée par Adrienne Monnier… Il y publie son premier essai littéraire, dans la revue nouvellement créée, Le Navire d’Argent : premières impressions d’aviation, plus convenues et imaginées que réelles. Mais le motif central de son petit récit révèle déjà l’intérêt majeur que Saint-Exupéry va porter à l’avion, outil principal de sa quête de vérité… Les nombreuses lettres qu’il écrit tant à sa mère qu’à ses amis et particulièrement à Renée de Saussine, dite Rinette, trahissent ses angoisses et ses souffrances intimes, et aussi son désir violent de « voler »…
C’est ce qu’il dira, lorsqu’à l’initiative de certaines de ses relations, dont l’abbé Sedour, il rencontre Beppo de Massimi, qui est alors directeur général de la compagnie d’aviation Latécoère ; Massimi se souvient de son premier entretien avec lui, le 12 octobre 1926, (Antoine a tout juste l’âge du siècle), et de la supplique que lui fit le jeune homme : « Monsieur… je voudrais surtout voler… seulement voler… » La sincérité impressionnante de Saint-Exupéry ébranle Massimi qui va le recommander à Didier Daurat, à Toulouse. Chef d’exploitation de la mythique Ligne, Daurat est connu pour son caractère inflexible et sa sévérité à l’égard des jeunes pilotes qu’il est chargé de former. Il est vrai que le projet fou de la Ligne ne peut souffrir de dilettantisme ou d’approximatifs désirs de voler. Il s’agit de confier le courrier par-delà les continents à des hommes capables d’affronter les dangers et la mort… Saint-Exupéry sait cela, et lorsqu’il rencontrera pour la première fois Daurat à Toulouse, il répète sa supplique : « Monsieur, je voudrais surtout voler. »
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Midi-Pyrénées, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2011