Toulouse,
quai Lucien Lombard,
par Pierre Le Coz
(extrait)
Né en 1954 d’une famille d’origine bretonne venue travailler dans le Sud-Ouest, Pierre Le Coz a passé toute sa jeunesse à Toulouse. Ses premiers textes – des « proses poétiques urbaines » que publia en 1993 la revue N.R.F. (avant que les éditions Sables les reprennent en 1995 sous le titre Chambre haute) – témoignent de cette imprégnation : poésie de l’errance et de la lumière, très fortement marquée par la question du lieu, elle demeure sous le signe de la grande ville du Sud qui l’a pour partie inspirée. La prose inédite que nous donnons ici veut évoquer une promenade de ces temps-là au long des quais de Garonne.
Le soir, un dernier rayon laissait venir une cité pourpre au fond de l’espace. Le silence roulait par-dessus les toits comme un océan invisible. C’était l’heure où je ressortais enfin, longeant la courbe frissonnante des platanes du quai. Quelque chose bougeait à peine entre leurs feuilles d’or, quelque chose qui s’était mis en marche du fond du temps et envahissait maintenant les rues. Sans doute n’étais-je qu’un passant, qu’un moment de cette ville ; mais un moment incluant aussi l’éternité : l’impensable dimension où les mots, depuis toujours, sont en route. Et brusquement, c’était comme si le temps s’était entr’ouvert devant moi, comme si je voyais à travers son épaisseur. En quelles années lointaines avais-je déjà contemplé ces maisons, ces arbres, ce fleuve coulant dans le soir mauve ? En quelle autre vie peut-être m’étais-je promené, tout un été durant, dans la même cité fantôme ? La faille entre les mondes était là : elle s’ouvrait et se refermait sans cesse comme une porte qui bat au vent fou, comme un œil rouge qui cligne. Alors je descendais le long des eaux, j’allais m’adosser contre la brique chaude de leurs hauts parapets, observant comment la lumière qui se retirait faisait tourner le vase sans défaut de la ville.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Midi-Pyrénées, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2011