Toulouse
Raymond Borde, l’Extricable
par Michel-Julien Naudy
(extrait)
« Combien faudra-t-il de Mai 68 pour jeter Picasso aux égouts ? » demandait Raymond Borde dans son livre sur Poumeyrol, artiste pyrénéen méconnu, comme l’était le bordelais Molinier.
La question a beaucoup fait sursauter, elle est un bon exemple de la force, du ton, du style de Borde. Sa violence n’a rien de commun avec les invectives ordurières de Céline ou de Bukowski, elle est plus proche de celle des moralistes, de La Rochefoucauld ou de Chamfort. Voyez ce portrait d’Emmanuelle Riva : « Elle promène le regard lourd de la folie comme on arbore une Légion d’honneur, elle est intolérable ».
Chez lui, comme chez les surréalistes, comme chez son complice Étienne Chaumeton, la fureur s’allie à la grande culture et à l’extrême civilité. André Breton représente bien ce courant : il se bat dans une boîte de nuit en compagnie de René Char, boulevard Montparnasse il gifle une crapule stalinienne, Ilya Ehrenbourg, mais il fait le baise-main aux dames. Imaginons-le à Mexico, s’inclinant devant Natalia Sedova ou Frida Kahlo, nous aurons une idée de cette tendance.
Et plus qu’une tendance, peut-être un monde, celui d’autrefois auquel Borde, comme tant d’autres, restait attaché dans son cœur : « la France de l’apéro et des instits » comme dit Régis Debray, où une saine évidence oppose le curé à l’instituteur, le dreyfusard au sabre et au goupillon. Cinéma muet, films en noir et blanc… cette mélancolie entre pour beaucoup dans la révolte de « L’Extricable », avec la nostalgie de ces campagnes où, avant d’être cerné par l’autoroute, le supermarché et le « centre historique » on devenait une brute, un avare ou un facteur-Cheval.