THIERCELIEUX
Éric Holder, le bonheur simple dans la maison bleue
par Jérôme GARCIN
(extrait)
Après s’être longtemps étalée, grasse et limoneuse, jusqu’à l’horizon où elle fond dans le ciel, la Brie commence ici d’onduler, de louvoyer, d’étonner ; elle annonce les contreforts de l’Est. Thiercelieux est, entre La Ferté-Gaucher et Montmirail, un hameau de cinquante âmes accroché à une pente douce. L’hiver, seuls s’y arrêtent, moteur allumé, la 4 L du facteur et le car de ramassage scolaire. L’une apporte à l’écrivain des lettres de la capitale, l’autre emmène deux enfants à l’école. Sans église ni bistrot, Thiercelieux est une voie de passage entre le fromage de Coulommiers et les vins de Champagne, une colline peu inspirée où, depuis 1990, Éric Holder a choisi de vivre.
D’une voix tranquille de converti – ou d’apostat, c’est selon –, il assure qu’avant cette date cardinale son existence et ses livres n’avaient pas d’intérêt. « J’étais un petit con », lâche-t-il sans vraiment s’expliquer. Entre deux longs silences, on comprend qu’il fait le décompte de quelques illusions perdues à Paris et de ses premiers livres, dont il est si peu « fier » qu’il prétend souffrir de ce qu’on les loue encore. Éric Holder cite alors Heinrich Böll : « J’ai toujours voulu écrire, mais les mots sont venus tard. »
Il ajoute qu’il doit de les avoir trouvés à la Seine-et-Marne, où les paysans sont silencieux, la terre loyale et les insectes moins médisants qu’ailleurs. « J’ai longtemps pensé qu’écrire, c’était faire des numéros de claquettes et porter des jugements péremptoires ; je sais maintenant que mon travail consiste à épurer, pour être le plus sincère possible. » Il dit cela d’un air grave qui le vieillit en même temps qu’il adoucit ses traits, ceux d’un jeune homme réfractaire au succès que Paris lui promettait, en échange d’une désinvolture tweedée, de quelques insolences et d’une aptitude calculée à se montrer. Le soleil de mars réchauffe les pierres de sa modeste maison briarde, baptisée « la Maison bleue ». Deux chats sautent sur la table de jardin. L’écrivain montre du doigt les vieux toits du hameau et désigne ses compagnons de campagne : « Eux, ils sont justes ! »
Dans la Belle Jardinière1, ouvrage qui fut gratifié du prix Novembre, Éric Holder racontait sa vie quotidienne à Thiercelieux : fendre le bois de poirier pour la cuisinière, tuteurer les tomates, fumer le potager, édifier une murette pour les melons, jouer à la belote, réparer la toiture du voisin, chasser la taupe et le lombric, participer à la grand-messe estivale de la moisson, faire les courses à vélo et, parfois, quand le porte-monnaie est vide, aller vendre des bouquets de gui et de houx dans les rues de Paris. Il reste un peu de temps pour écrire, qui parfait celui de vivre, mais c’est un temps essentiel, parce qu’il est rare, plein de toutes ces journées d’efforts physiques consacrées à s’y préparer.
Éric Holder est né en 1960, dans le Nord. Ses parents, qu’il adore, étaient des bourgeois de Calais. À l’occasion des événements de mai 68, ils ont eu « le courage de tout lâcher » pour descendre dans le Midi de la France, nomadisant de remises en cabanons, de vignes en marchés, fuyant les huissiers, les contraintes sociales et le confort établi. Quelques années plus tard, Éric Holder a été garde-malade d’une tétraplégique, à Aix-en-Provence. De cette expérience, il a tiré un roman, l’Homme de chevet2, qui rend mieux compte de la métamorphose de l’auteur que ses aveux virgiliens, égrenés dans l’air pur d’un printemps précoce.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Seine-et-Marne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2002