SOISSONS ET VIC-SUR-AISNE
Gautier de Coincy et des Miracles de Nostre Dame
par François-Jérôme BEAUSSART
(extrait)
Lorsque Gautier de Coincy devient à la fin du XIIe siècle moine de l’abbaye royale Saint-Médard de Soissons, celle-ci vit encore dans le souvenir de la grandeur qui fut la sienne pendant tout le haut Moyen Age depuis sa fondation par le roi mérovingien Clotaire Ier pour abriter les restes de Médard, évêque de Noyon. Au IXe siècle, cet établissement est l’un des plus illustres ; entre 866 et 870, c’est un fils de Charles le Chauve, Carloman, qui en est l’abbé.
Gautier de Coincy avait 15 ans, dit la chronique, et, sans doute, avait-il déjà passé toute son enfance sur les bancs de l’école monastique. Il était né en 1177 ou 1178 à Coincy, bourg situé aux confins de la Picardie et de la Champagne dans le sud de l’actuel département de l’Aisne. Nous ne savons rien de sa famille sinon que plusieurs membres de celle-ci occupèrent d’importantes charges à l’abbaye Saint-Médard, signe probable de leurs origines aristocratiques.
Quels pouvaient être les sentiments de cet adolescent promis bien jeune à l’enfermement définitif ? Plus tard, devenu écrivain, il proclamera la supériorité de l’état monastique sur tous les autres états mais parfois, au détour d’un de ses récits, il fera entendre la plainte de ses compagnons :
« Maître Simon m’a encore avoué l’autre jour que son existence à Saint-Médard l’avait tellement abruti qu’il ne distinguait plus les jours et ne s’apercevait qu’on était dimanche que parce qu’il voyait le curé dispenser l’eau bénite ! Espérons que Dieu réconfortera les moines cloîtrés lorsqu’ils seront au ciel car ce ne sont pas leurs abbés qui le feront ! »[1]
Quoi qu’il en soit, l’existence est dès lors toute tracée pour le jeune moine admis aux stalles du chœur à 19 ans puis ordonné prêtre à 23. Il a, entre temps, poursuivi ses études religieuses et approfondi ses connaissances littéraires et musicales. Contrairement aux apparences, Gautier n’est peut-être pas un moine totalement reclus et ses origines sociales le conduisent probablement à fréquenter la noblesse cultivée liée à la cour de Champagne dont les membres sont des connaisseurs avertis de la poésie courtoise. Il est certain que ce n’est pas à l’école monastique que Gautier a acquis la virtuosité poétique et la culture musicale dont témoigne l’ensemble de son œuvre et qui le rapprochera des grands trouvères de son époque, qu’il a d’ailleurs peut-être fréquentés. Il connaît aussi la littérature latine profane ainsi que les textes en langue vulgaire ; il y fait maintes allusions dans son œuvre… pour les vilipender ! Horace et Virgile ne sont que des blagueurs qui ne nous apprennent que « tromperies et ruses ». Quant à la littérature française, elle ne vaut pas mieux, et le Roman de Renart n’est qu’un tissu de mensonges ; Gautier assigne à l’écriture une mission autre que celle de divertir.
Extrait de l’ouvrage : L’Aisne des écrivains (c) Alexandrines, mars 2016