SAINT-RAPHAËL
Mon ami Alphonse Karr,
par Claude Duneton
(extrait)
Mon ami Alphonse Karr fut à la fois l’un des écrivains les plus célèbres et les plus lucides du xixe siècle. Il est aujourd’hui l’un des plus oubliés – très injustement – pour la raison que ce républicain de la première heure, humaniste et désintéressé, se méfiait des excès de zèle partisan de la IIIe République naissante, et qu’il l’avait dit. Aussi le gouvernement autocratique ne l’avait-il pas logé dans son panthéon d’honneur – et puis les humoristes ont toujours vexé quelqu’un à droite ou à gauche, on les prend avec des pincettes.
Pour ma part, si je dis toujours en le citant « mon ami Alphonse Karr », c’est qu’il m’a beaucoup appris. Sa lecture et son humour m’ont éclairé sur certains aspects politiques du xixe siècle qui ne sont jamais mis en avant. Compagnon marginal et infiniment agréable, il m’a aussi montré le dessous des cartes.
Fils d’un pianiste et compositeur d’origine allemande, Alphonse Karr naquit à Paris en 1808. Après des études au lycée, il entra dans le journalisme et fut, à moins de trente ans, rédacteur en chef du jeune Figaro. Ami de Victor Hugo et du mouvement romantique, il publia en 1832 Sous les tilleuls, un roman qui connut une belle gloire sous la Monarchie de Juillet. Le livre fut suivi quelques années plus tard par Fa dièze, un roman à caractère nostalgique, d’une facture simple, dépouillée si on le compare aux floraisons romantiques du temps.
Mais sa véritable renommée lui vint d’un journal satirique qu’il créa et écrivit seul, intitulé en référence à Aristophane : Les Guêpes. Ce mensuel de quelques pages, véritable ancêtre du Canard enchaîné dont il fournit le modèle et le ton de sa verve impertinente, faisait la satire des évènements du jour, du gouvernement comme de la cour de Louis-Philippe. La forme était neuve, le style hilarant, Alphonse Karr, rédacteur unique, vendait sa feuille par abonnement, un système suffisamment lucratif pour lui procurer un revenu convenable.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Var, sur les pas des écrivains(c) Alexandrines, février 2010.