SAINT-PIERRE-TOIRAC
Les arrière-pays d’Yves Bonnefoy
par Rémi Soulié
(extrait)
Poète du lieu et du site, de la finitude et de la présence, du séjour et de l’habitation, Yves Bonnefoy n’a jamais cessé de quêter l’« arrière-pays » dont le poème découvre l’accès paradisiaque jusqu’alors barré par cette épée de feu qu’est l’abstraction conceptuelle – Anti-Platon date de 1947, six ans avant Du mouvement et de l’immobilité de Douve. S’il est a priori d’autant plus délicat de lui assigner une localisation précise que le conflit critique entre Proust et Sainte-Beuve sur la part biographique dans la genèse des œuvres a été remporté haut la main par le premier, il n’en reste pas moins que les causses du Quercy et du Rouergue en constituent certainement l’horizon.
Né à Tours en 1923, le poète fait l’épreuve d’une double scission dont il n’est sans doute pas exagéré de considérer qu’elle traverse toute son œuvre, le recueil de « récits en rêve » emblématiquement intitulé Rue Traversière en étant le sceau symbolique – l’incipit du poème en prose éponyme est d’ailleurs éloquent : « Quand j’étais enfant je m’inquiétais beaucoup d’une certaine rue Traversière. » La suite l’est tout autant : « Est-ce ici, m’étais-je dit à plusieurs moments, que là-bas commence ? […] Il y a cinq ans, quand ma mère fut soignée à l’hôpital qui est auprès du jardin, je suis passé à nouveau, deux ou trois fois, à des heures d’après-midi, rue Traversière. » Ici, là-bas ? Tel est bien le problème qu’exposent les déclinaisons : Tours, la ville française de l’exil, Toirac, la campagne occitane de l’enracinement ; mais aussi Toirac, village quercynois du grand-père maternel, Viazac, village quercynois du père, Ambeyrac, village rouergat de la mère. Entre les deux, entre les trois, deux traits qui fascinent le scrutateur amoureux des dessins : le fleuve Loire, la rivière Lot.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Midi-Pyrénées, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.