SAINT-PAIR, GRANVILLE
Fernand Fleuret, le Chevalier de la Manche,
par Emmanuel Pollaud-Dulian
(extrait)
Quant à moi, je ne faisais rien
que de regretter la Normandie
et sonder l’abîme de l’avenir.
F. Fleuret
Mettre ses pas dans ceux de Fernand Fleuret, c’est retracer le voyage sentimental qui a formé l’imaginaire d’un écrivain aussi original que méconnu. Né en Lorraine en 1883, Fleuret choisit de faire couler dans ses veines le sang normand « avec son mépris des morales, des règles et des lois ». Animé par l’esprit de rébellion, ce catholique tourmenté s’identifie aux poètes bretteurs du xvie et se veut « un libertin pour ceux qui croient ; un libertin pour ceux qui ne croient pas ».
Il a sept ans lorsqu’il découvre la Normandie. Fuyant un mari joueur et volage, sa mère cherche refuge auprès de ses parents, les Perrin, négociants retirés à Saint-Pair-sur-Mer. Mal accueillie, la fille prodigue s’exile en Angleterre et abandonne Fernand aux deux vieillards maussades.
L’enfant en blouse à col marin grandit dans une grosse villa sans charme qui tourne le dos à la mer. Il emmène son chien pour de longues balades à travers la campagne : « J’étais seul avec ma peine, en ce lieu qui ressemblait à mon cœur prématuré. Je n’ai pas entendu le fatal Ménétrier dont l’odeur de terreau flottait autour de moi, mais j’apprenais à te savourer en secret, harmonieuse enchanteresse de mes jours, Mélancolie ! »
Paysages et légendes lui façonnent « une âme d’autrefois ». Il rêve de jeunes filles vêtues comme au temps de Mozart, qui lui offrent des tartines de miel et du vin de Tokay, ou décide que les Perrin ont bâti leur villa sur le tombeau d’un chef viking, dont on a jeté les cendres à la mer et emporté le sarcophage au musée d’Avranches : « Ce sarcophage m’appartient et un jour je ferai un boucan de tous les diables pour rentrer en sa possession. »
Pensionnaire au Petit Séminaire de Mortain, il s’enivre du sombre romantisme des lieux : « Une plaine immense s’étend au pied de ce pays montagneux. Il y brille souvent plusieurs arcs-en-ciel qui mesurent l’étendue de sa tristesse. Des dolmens et des pierres levées, couverts d’un lichen lépreux, semblent attester que la terre est morte. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.