SAINT-OMER, ÉTAPLES,
Germaine Acremant, une dame au chapeau vert,
par Jean-Yves Vincent
Un fusil de chasse Breda, calibre 20, une canardière type « anglais », trois oiseaux morts, quatre oiseaux sur pied, deux plats ronds, bord chantourné, en étain ; un pot, forme cornet, décor gravé fleur du XVIIIe ; un pichet de faïence de Saint-Omer, émail bleu… Mais aussi 15 bottes de roseaux secs, 15 bottes de roseaux frais, 20m2 de gazon et un seau de lentilles d’eau, une pipe en terre cuite et une peinture de Jules Joëts ! Voilà l’inventaire à la Prévert qu’il a fallu dresser pour reconstituer la célèbre hutte d’acajou de Germaine Acremant lors du 10e salon du confort ménager de la femme et de l’enfant de Lille du 1er au 12 novembre 1961 ! L’exposition s’appelait « À toutes les gloires du Nord » et donc du Pas-de-Calais puisque Germaine, Fannie, Marie-Joséphine Acremant est née à Saint-Omer en juin 1889 d’un papa Édouard Poulain, médecin et d’une maman Jeanne-Marie Bonvoisin.
« Notre maison comportait une véranda dans laquelle elle vivait en compagnie de masques, de peintures et d’éventails japonais et une quantité de plantes vertes, à l’automne tels mille grelots de savoureux raisins noirs dans l’écrin de leur feuille mûrissaient au-dessus de nos têtes. Création de nos parents, cette construction nous avait procuré le plaisir éphémère de circuler dans les tranchées creusées par les ouvriers lors de la fondation des petits murs. »
En haut de la maison, un belvédère. C’était un lieu magique ! « Il y avait quatre côtés avec des fenêtres vitrées et une rampe pleine de poussière. On s’appuyait et quand on redescendait, on était tout bariolé… »
Le quartier a été détruit par la guerre mais le souvenir est intact :
« De là-haut, on voyait tout Saint-Omer, Cassel, les moulins de Flandre, l’arrivée du chemin de fer ! Le monsieur qui habitait la maison avant nous se postait là et criait à la servante qui préparait le repas : Mélanie, mettez les maquereaux au feu, mon frère entre en gare ! »
Mémoire d’enfant est trésor de grand. Les souliers vernis de la gamine ont sonné sur les pavés de la ville. Elle a poussé la lourde porte de la cathédrale. Elle s’est recueillie devant l’autel de Notre-Dame des Miracles. Elle s’est émue des chaussures d’enfant posées sur le tombeau de saint Erkembode.
Âme et yeux grands ouverts, à regarder, observer, s’imprégner.
« J’avais remarqué à la cathédrale de Saint-Omer, quatre personnes assises côte à côte. Elles étaient chacune coiffées d’un petit chapeau noir orné d’une marguerite. À l’élévation, les marguerites disparaissaient pour réapparaître avec un bel ensemble. » Un éclat de rire retentit dans la travée de l’église ! Tsss, tsss ! Sous sa mitre sévère, Omer, l’évangélisateur du roi Dagobert (qui mettait sa culotte à l’envers) a beau faire les gros yeux, la petite fille de Saint-Omer ne peut s’empêcher de pouffer en regardant danser les marguerites ! Et jamais, elle n’oubliera le monôme des bigotes trottinant vers la communion.
Ces dames deviendront les demoiselles Davernis. L’aigre Telcide, parangon de chasteté, la douce Marie, les falotes Jeanne et Rosalie. Quatre dames au chapeau vert, quatre vieux cœurs perclus d’amour qui, à l’âge de 34 ans, apporteront à Germaine Acremant la consécration et la brouilleront un temps avec sa ville natale.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006