ROUEN
Alain à Rouen
du professeur à l’intellectuel,
par Joseph Dion
(extrait)
D’un pas pressé, Émile Chartier traverse les rues d’allure médiévale qui le conduisent de son appartement du 140, rue des Bons-Enfants jusqu’au lycée Corneille où il enseigne la philosophie. « Si je suis quelque petite rue qui monte, me voilà pris dans la cité, le nez en l’air, cherchant le ciel et les nuages ; c’est alors qu’une flèche, une ogive, une rosace me saisit par sa hauteur et m’enferme dans l’humanité. » La petite pluie de juin ne le distrait pas de ses pensées. Il revoit le débat de la veille au soir : « De l’existence de Dieu, arguments moraux » dans la petite salle de la Solidarité, 124, rue Saint-Hilaire, où se réunit souvent l’Université populaire. Il aime présider ces débats, amener chacun à exprimer ses arguments, à comprendre les avis contraires.
Devant lui s’ouvre la cour d’honneur du lycée. Émile Chartier apprécie le vieux lycée prestigieux, construit par les jésuites deux siècles plus tôt, où tant de Normands se sont formés. La statue en plâtre de Corneille, ancien élève, grisaille au milieu de la cour d’honneur. Les élèves soulèvent leur chapeau sur le passage de leur professeur. Émile Chartier se demande s’il y a parmi eux un nouveau Flaubert, un nouveau Maupassant pour illustrer les Normands du siècle naissant. Peut-être ce petit Émile Herzog, tellement attentif, tellement brillant…
Dans sa classe il retrouve son bureau, les pupitres de ses élèves, une odeur familière… La cloche sonne le début du cours et les élèves s’installent… La fatigue née de l’activité inlassable du professeur s’estompe devant le regard de ces jeunes gens dont il se plaît à éveiller le raisonnement.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Seine-Maritime, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007