ROUCY
Yves Gibeau le pèlerin du chemin des Dames
Par René COURTOIS
(extrait)
Yves Gibeau avait acquis la célébrité littéraire par son livre « Allons z’enfants », dont le cinéaste Boisset allait tirer un film remarquable.
Cette évocation sans indulgence de la condition des « enfants de troupe » allait lui valoir une solide réputation d’antimilitariste et d’anarchiste.
Aussi ses nombreux amis furent-ils vivement déconcertés quand ils apprirent sa décision d’achever sa vie dans l’Aisne, dans le secteur du Chemin des Dames. Il y avait acquis un presbytère abandonné, à Roucy.
Plus étonnés encore furent-ils de le voir y errer quotidiennement sur les anciens lieux des batailles de 1914-1918, en quête d’on ne savait quel secret.
On pouvait l’apercevoir au milieu des champs nus du Chemin des Dames, découpant sa silhouette si élégante. Debout et silencieux, le regard perdu au loin dans les vastes horizons de ces lieux, et tout entier plongé dans une intense méditation qu’on avait scrupule à interrompre.
De ces pèlerinages presque quotidiens au Chemin des Dames, il ramenait souvent ce qu’il appelait des « reliques » : fragment d’obus, insignes, morceaux de barbelés, simples objets de la vie quotidienne des soldats, etc. Chacune de ces « reliques » venait enrichir ce véritable sanctuaire de la mémoire qu’il avait constitué dans son grenier de Roucy et qui était à l’antipode d’une manie de collectionneur.
A travers chacun de ces humbles objets que la guerre avait abandonnés dans son vaste sillage, Yves Gibeau exprimait bien autre chose qu’un cri d’indignation à l’endroit d’un commandement militaire borné et inhumain. En réalité, il communiait intensément avec ces centaines de milliers de combattants des deux bords qui avaient vécu en ces lieux les épreuves les plus inhumaines et, pour beaucoup d’entre eux, le sacrifice suprême. Il leur tendait sa main.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans l’Aisne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007