PONDAURAT
Roger Boussinot, moutonnier des mots,
par Jean-Luc Boulin
(extrait)
Lorsque j’étais étudiant à l’université de Bordeaux, j’ai lu le roman de Roger Boussinot : Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, paru quelques années plus tôt. Ce qui m’a tout de suite frappé, c’est l’unité de lieu de la tragédie : l’histoire débute rue Leyteire, à Bordeaux, où se trouve une entrée de l’université dans laquelle j’étais alors étudiant. Cette ancienne faculté de médecine de Bordeaux se vit dépossédée de ses internes et enseignants lors de la construction du CHU. Elle est depuis lâchement abandonnée aux sciences humaines. Mais en 1936, le bâtiment majestueux sentait encore le formol. Boussinot, alors lycéen, emprunte la rue Leyteire quatre fois par jour pour se rendre de la rue Lafontaine, où il habite, au lycée Montaigne cours Victor Hugo, où il est externe. En passant devant les marches d’une porte arrière de la faculté de médecine, il aperçoit un vieil homme barbu, vêtu d’une peau de mouton, attendant là on ne sait quoi…
Ce vieillard, que les étudiants appellent le marquis, ne cesse de hanter les pensées de l’étudiant, en cette fin de printemps Front Populaire. La vie et la mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes seront imaginées et expliquées quarante ans plus tard par Roger Boussinot dans ce roman éponyme qui lui vaudra le grand prix des lectrices de Elle.
J’ai fait, je me rappelle, plusieurs fois le tour de la respectable faculté de médecine aux grandes verrières et aux bancs d’amphithéâtre en vieux bois pour chercher cette porte arrière. Elle existe bel et bien, dans cette rue Leyteire aux pavés si déchaussés qu’on pourrait y tourner une nouvelle version des Misérables. Mais il n’y avait aucun vieillard sur les marches. Dans le roman, pourtant, Jean Chalosse existe bien : moutonnier floué par un notaire véreux, et souffrant des jambes, il a vendu pour six mille francs de dettes imaginaires son corps aux carabins de l’université… Il attend là sa fin afin que ses créanciers puissent récupérer leur dû… C’est la fin d’un long voyage aquitain pour ce berger transhumant.
J’ai revu Roger Boussinot pas mal d’années plus tard, lorsqu’il était maire de Pondaurat, entre Auros et La Réole.
En étant élu pendant 18 ans dans cette commune rurale, il achevait finalement une boucle familiale. Son père, issu d’une longue lignée de « brassiers » de la région réolaise, part à la fin de la première guerre mondiale comme instituteur en Tunisie où Roger Boussinot naît en 1918. Il fait référence avec fierté à son père Charles, avant-gardiste « qui a été le premier à franchir les limites du triangle Langon-La Réole-Bazas pour aller enseigner la langue aux petits Tunisiens en 1918 et est devenu l’un des fondateurs du Parti communiste tunisien. »
Roger Boussinot monte à Bordeaux faire ses humanités, puis à Paris. Les aléas de la guerre et de l’occupation l’ayant conduit à renoncer à Normale Sup, il devient à la fin des années 40 rédacteur en chef de L’Écran français, publication alors proche du PCF.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.