Verlaine à Rethel

RETHEL

Verlaine, passeur d’Ardennes
par Guy GOFFETTE
(extrait)

Ce jardin en nous plus profond et plus fabuleux que toutes les richesses, ce jardin auquel nous revenons tous quand le sol sous nos pieds se délite, ce jardin où nos rêves puisent leurs sucs les plus doux, c’est l’enfance.

Et c’est dans les Ardennes, de part et d’autre de la frontière, que Paul Verlaine établit très tôt ce jardin, où il ne cessera sa vie durant de revenir pour toucher à ses sources et s’y rafraîchir l’âme.

Bien que né à Metz, Verlaine a l’Ardenne infuse. Voué au bleu par sa mère, Paul-Marie Verlaine a le vert et la douceur des collines dans le sang, comme le soulignent les syllabes de son patronyme.

S’il a ignoré que le berceau des Verlaine, famille de haut lignage avec terres et blason, se situait en Belgique, dans un triangle défini par trois villages qu’il ne visita pas, malgré leur nom comme un écho de loin en loin se répétant : Verlaine, Verlaine et Verlaine, Paul apprit vite que son père venait de là-bas, de l’autre côté de la frontière. Né à Bertrix, bourgade française sous la Révolution et l’Empire, le père de Verlaine, Nicolas-Auguste, capitaine du Génie, fut muté à Metz avant la période hollandaise. Dès sa première année, Paul vint passer ses vacances dans les Ardennes belges, à Paliseul, chez sa tante Louise, comme il le fera chaque été ou presque jusqu’à ses 18 ans. C’est là encore qu’en 1849, éloigné de Metz où régnait le choléra, Paul vécut ces années décisives où les sens s’éveillent, où le goût se forme, dans une nature foisonnante et sauvage dont le meilleur de son œuvre poétique porte témoignage :

Au pays de mon père il est des bois sans nombre,
Là les loups font parfois luire leurs yeux dans l’ombre
Et la myrtille est noire au pied du chêne vert.

Les forêts, les loups, les étangs noirs, les pâturages qui moutonnent à l’infini, le schiste qui rit au soleil et que la pluie irise, et les ciels où le bleu toujours s’affole et grisaille, voilà un jardin que Paul n’oubliera pas, même quand les trottoirs de Paris au bout des cabarets se déroberont sous ses pas. Non plus qu’il n’oubliera les garçonneries dans l’herbe d’autrefois, ni l’accent ardennais qui rocaille de part et d’autre de la frontière, comme les rochers des bords de Meuse et de la Semoy.

Et c’est le fond même de cette voix qu’il entendra en 1871, dans les poèmes qu’un garnement de Charleville, Arthur Rimbaud, lui a adressés. Quoi d’étonnant que le galopin des lisières qu’il est resté suive sans réfléchir cette chère grande âme à Charleville et sur les routes du Nord jusqu’en Angleterre, en abandonnant sa femme, son fils et ses amis dans un Paris qui ne lui fut qu’exil ? La Bonne chanson est morte, vive la route vagabonde.

Après Londres, Bruxelles, le coup de revolver et la prison de Mons, Verlaine, abandonné à son tour par l’époux infernal, revient apaiser son cœur et s’assagir aux terres ardennaises que l’autre a fui pour le soleil du Harar.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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