LA RÉOLE
Michèle Perrein ou la maîtresse du fleuve,
par Christo Laroque
(extrait)
Il suffit de regarder Michèle Perrein les yeux dans les yeux durant une seconde pour que ce temps passé prenne des allures d’infini. Et dans ce regard est contenu toute l’œuvre de la romancière girondine. Car Michèle Perrein n’a rien fait d’extraordinaire pour devenir célèbre par la littérature : elle a simplement contemplé ce qui l’entoure. Quelquefois on peut même croire que certains de ses livres ont été écrits sans qu’elle s’éloigne des carreaux de sa fenêtre.
Ce qui domine chez cette écrivaine hors normes c’est en effet la qualité de l’observation de sa région, de sa ville, de sa rue. Elle récupère ces ingrédients comme le ferait un grand chef de cuisine, puis elle incorpore peu à peu des personnages qui sortent pour moitié de son imagination et pour moitié de la réalité. Ainsi Michèle Perrein transforme-t-elle à sa guise l’étudiante en blouse bleue en femme fatale ou le pêcheur au filet en capitaine de navire. Elle remodèle les personnages comme elle aurait voulu qu’ils soient, et même davantage : sans doute est-elle capable de deviner ce qu’ils auraient réellement voulu être. En donnant par l’écriture une seconde vie à des hommes et à des femmes ordinaires qu’elle voit chaque jour passer sur les trottoirs de sa ville, elle les prolonge dans un monde nouveau, parallèle à celui dans lequel ils vivent.
Dans la plupart de ses romans elle se met en scène elle-même en s’inventant des rôles comme une petite fille revêt à Noël le costume qu’elle a reçu. Elle peut être fée ou paysanne, femme du monde ou dévoyée : tout lui va. C’est le penchant certain pour le théâtre qui surgit là, au moment où on s’y attend le moins. Les pièces qu’elle a écrites sont dans la même veine que ses livres. On y trouve d’autres hommes et d’autres femmes toujours aussi simples, qui savent exactement où ils vont mais qui, lorsqu’ils se rencontrent, semblent se torturer pour essayer de trouver tout de même une sorte de « vérité ». Ce dernier terme n’est d’ailleurs pas innocent puisque c’est celui que choisit Henri-Georges Clouzot pour intituler un de ses plus grands films auquel justement Michèle Perrein a collaboré. Le scénario est en effet inspiré largement de son roman La Flemme. Et c’est encore une histoire de femme différente, entièrement ordinaire au départ, puis décalée et enfin déchirée. Michèle rejoue son adolescence comme elle rejouera sa cinquantaine avec le personnage de Marthe, l’énigmatique femme-oiseau qui vit seule sur une île au milieu du bassin d’Arcachon dans Les Cotonniers de Bassalane. Avec cet hymne à la nature et au refus du compromis mercantile, elle obtient en 1984 le prix Interallié.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.