Jules Michelet à Renwetz

RENWEZ

Michelet et l’Histoire, une rencontre ardennaise
par Gérald DARDART
(extrait)

Historien à la fois apprécié et détesté, reconnu et contesté, Jules Michelet est une icône pour les uns, une anomalie pour les autres. Son œuvre immense, émaillée d’impressions personnelles, subjectives, passionnées et romantiques n’est pas passée inaperçue. Son envol, son amour voué à l’histoire éclot dans les Ardennes…

Sa famille maternelle est originaire de Renwez, gros village aux rues sinueuses, pentues, bien pourvues en fontaines et abreuvoirs. Renwez est blotti sur les contreforts méridionaux du massif ancien de l’Ardenne. Le bourg prospère au XIXe siècle, fort de 1 650 âmes en 1845, est réputé pour ses brosseries et fabriques de chicorées. Les maisons y sont cossues, certaines affichent des millésimes au moyen d’ancres et tirants en fer forgé : « 1798 », « 1824 », « 1826 »… Un grand nombre de toitures se trouvaient couvertes de « faiseaux », grosses lauzes de schiste collées entre elles avec de l’argile. Au bas de la localité, des bâtis du XVIe siècle agrémentent la rue de Pise. La toponymie locale témoigne d’un riche passé : « chemin de la Motte », « rue du Chaufour », « chemin de l’Épinette », « rue du Cheval-Blanc », « rue de la Pisselotte », « rue de La Boutillette »…

Mais Michelet perd trop tôt cette mère adorée, le 9 février 1815 ; il n’a que seize ans. Curieusement, Michelet trépassera aussi un 9 février ! Michelet explique le caractère de sa mère, forgé par le milieu mosan et frontalier : « […] Personne n’était plus raisonnable. Elle tenait un milieu assez rare entre l’emportement sanguin des Belges de la basse Meuse – Dinant, Liège – et la critique un peu sèche des Ardennes, de Rethel, Mézières, Sedan, des villes lorraines […] ». Dans son Histoire de France, Michelet décrit les Ardennais comme « une race distinguée, sobre, économe, sérieuse, où l’esprit critique domine ». « Il faut croire que ce pays est vraiment le mien. Je suis le seul à qui il plaise»,  ajoute-t-il.

Les ascendants ardennais de Jules Michelet appartiennent aux familles Millet-Champenois et Michaux. Un nombre surprenant de Michaux est entré dans les ordres ou dans le clergé séculier. Le grand-père Millet fut maire de Renwez. Son oncle Lefebvre-Millet occupe lui aussi le fauteuil de maire, entre 1832 à 1840 et travaille comme administrateur de la forêt. La famille Lefebvre-Millet constitue la quatrième fortune du village. La tante Hyacinte, sévère et laborieuse, dirige la maison. Les autres tantes sont beaucoup plus joyeuses et à l’aise lorsque Hyacinte n’est pas là ! La demeure familiale se situe sur la place de la mairie, en face de la halle et de l’église, en plein cœur du village ; large bâtisse dotée d’une belle porte charretière.

Michelet parcourt l’Ardenne à de multiples reprises. En octobre 1831, il visite le terroir de Renwez ; en juin 1837, il écume les fonds d’archives de Mézières et se promène au Mont-Lieu et au bord de l’étang de La Boutillette ; en août 1840, il remonte la Meuse de Givet à Revin, puis traverse Rocroi ; en août 1849, il vient avec sa seconde épouse, apparentée aux Mialaret de Mézières, et tombe sous le charme de la Place Ducale de Charleville : « […] La Champagne m’avait semblé ennuyeuse ; cette première vision du pays de ma mère me remplissait de mélancolie […] » confie-t-il. Michelet perçoit l’âme de l’Ardenne comme « sombre », c’est que l’ardoise la couvre d’un habit de « deuil »… L’Ardenne l’inquiète, car l’on ne voit jamais la fin de la forêt, « le bois se referme » derrière soi, c’est « une mer montante », « un océan »… Les intérieurs, secs et chaleureux, s’opposent à l’humidité diffuse des plateaux boisés, des vallées sinueuses. Mais l’Ardenne le charme aussi et le retient par la force de caractère des autochtones.

Dès son premier séjour, en 1831, Jules Michelet se passionne pour l’histoire, les légendes, le patrimoine d’Ardenne. Il s’interroge sur la toponymie locale, notamment la « rue-des-Malades » de Renwez, où s’élevait autrefois une maladrerie ou une léproserie. Il visite le château de Montcornet. Il découvre les Quatre-Fils-Aymon à Château-Regnault, Laifour et les Dames de Meuse. « Partout, ici, l’histoire s’éveille sous vos pas » s’émerveille-t-il. À pied, malgré la distance impressionnante de 80 km, il est allé parcourir avec son oncle la vallée de la Lesse et les grottes de Han ! Dans Ma Jeunesse, Michelet retient davantage les contes fantastiques et magiques que l’histoire vraie, scientifique ; il évoque : « les effrayantes légendes », « un homme ensauvagé », « l’antre obscur », « un lieu d’effroi », « les demi-ténèbres », « la Lesse, rivière magique »…

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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