PROVINS
Alain Peyrefitte, de l’homme politique à l’homme de pensée
par René PEYREFITTE
(extrait)
Quand Alain Peyrefitte s’engagea dans la vie politique à Provins et dans sa circonscription, il y était, suivant le jargon électoral, un « parachuté ». Mais avant de s’y enraciner profondément pendant une quarantaine d’années, il avait été en quelque façon prédestiné à ce point de chute : il avait grandi à l’ombre de la tour de César et souvent rêvé sur sa massive élégance. De fait, le principal ornement du bureau de son père était un grand lavis la représentant.
Ses origines, son enfance et son adolescence étaient méridionales. Reçu à vingt ans à l’École normale supérieure, puis à l’École nationale d’administration, il avait opté pour la carrière diplomatique. Tout d’abord en poste à Bonn, où le haut-commissaire de la République française était le Provinois André François-Poncet – second clin d’œil du destin –, il fut ensuite nommé consul général de France à Cracovie. À son retour en France, il est affecté à la Direction des affaires européennes. Il s’était installé à Paris, puis à Chartrettes, près de Melun, où ses parents avaient acheté une maison avec le souhait d’y créer un lieu de rencontre familial.
Très vite, il s’intéressa à la politique active. Élu député de la circonscription de Provins, sous l’étiquette gaulliste, en 1958, sa voie était désormais tracée. En1965, il est élu maire de Provins et, l’année suivante, il s’installe dans cette ville, dont il restera le député-maire pendant plus de trente ans. Avec ses parents, il achète une propriété dans le quartier de La Roseraie, hors des remparts de la ville haute, mais en des lieux riches de souvenirs anciens. L’adresse, rue aux Juifs, rappelle le temps où Provins, avec ses deux grandes foires de printemps et d’automne, était un grand centre de commerce régional et même international. La maison ancienne, en équerre, comporte un bâtiment construit sur le Durteint – souvenirs d’anciens ateliers de teinturerie –, dont on voit l’eau couler par un regard encastré dans le parquet du salon.
Il passait à Provins au moins deux jours par semaine et il aimait à dire que, dans sa carrière politique, c’était cette action de terrain qui lui avait apporté le plus
de satisfaction. C’est qu’il pouvait voir là les résultats concrets et durables de son action, la réalisation de ses idées et de son intention essentielle : orienter cette ville au riche passé vers un avenir propre à assurer sa pérennité et son développement. Les grands projets, réalisés après d’incessants efforts et des luttes renouvelées, furent les restaurations des remparts, de l’église Saint-Ayoul et de la Grange aux dîmes, la recherche d’une nouvelle affectation pour le couvent des Cordelières, les créations de la ville nouvelle de Champbenoît et du nouveau centre hospitalier.
À son arrivée, les vieux remparts étaient en piteux état, et il regrettait qu’un siècle plus tôt Viollet-le-Duc se fût consacré à la restauration des remparts de Carcassonne au lieu de ceux de Provins, dont il avait aussi été question. Il essaya d’intéresser ses concitoyens à la question en les convoquant à pied d’œuvre ; ce rendez-vous n’eut pas grand succès et il entreprit seul la longue marche des interventions auprès des services et des ministères concernés. Enfin, il prépara un important dossier pour leur inscription au patrimoine mondial par l’Unesco, qui a été obtenue en décembre 2001.
La restauration de l’église Saint-Ayoul, en particulier son portail qui s’était effondré, souleva moins de difficultés. Il accepta et imposa la suggestion des Monuments historiques de faire appel à Jeanclos, un artiste contemporain. À l’occasion de l’inauguration, il contribua à la plaquette le Saint-Ayoul de Jeanclos par son article « Insérer le neuf dans le vieux ».
Durant cette longue magistrature, d’autres initiatives lui apportèrent des satisfactions plus faciles. Telles furent, vers la fin des années 1970, les créations du festival de Provins et de la Fête médiévale, qui participent encore aujourd’hui au rayonnement de la ville. En associant au festival des spectacles très variés, entre autres des soirées littéraires et des spectacles musicaux, cette manifestation attira un public de plus en plus large, et elle donna lieu à des scènes pittoresques. Tel soir, une célèbre danseuse étoile se fit présenter à André Malraux. Au moment de la représentation, deux fauteuils réservés restèrent vides au premier rang et l’on eut des nouvelles
des intéressés plusieurs jours plus tard. Un autre soir, avant un récital de Jean Desailly et Simone Valère, la foudre tomba, privant la ville haute d’électricité ; la foule se précipita vers le lieu de repli prévu, l’église Saint-Quiriace, qu’on éclaira par une double rangée de cierges.
La fête médiévale donna l’occasion au maire d’apparaître en grande tenue d’échevin, en compagnie de sa femme, du conseil municipal et d’autres notables en pareille tenue médiévale, au milieu de la liesse populaire.
[…]
Extrait de l’ouvrage : La Seine-et-Marne des écrivains (c) Alexandrines, 2015