OMONVILLE-LA-PETITE
L’ami Jacques,
par Gérard Fusberti
(extrait)
J’avais vingt-deux ans quand je rencontrai les Prévert. Au début, Jacques ne me plut pas, il me faisait peur, impressionné que j’étais par sa célébrité… Il avait l’air de voir l’intérieur des choses et des gens, quoi de plus inquiétant ?… C’est Janine qui m’attira et m’adopta d’abord.
Mais très vite il a su me séduire. Il savait faire cela. Quand il adoptait quelqu’un il devenait un peu despotique, mais il aimait : intellectuellement, affectivement, moralement. Il trouvait toujours des solutions aux problèmes de ses amis, qui passaient avant tout, même si c’était des fripouilles !
Le premier contact de Jacques Prévert avec la Hague date de 1930. Au retour d’un mariage « à la mode de Bretagne », où ils avaient fait la bringue pendant des jours, Prévert, le peintre Tanguy et Pierre Batcheff firent halte dans un hôtel, disparu aujourd’hui, à Goury. Coup de cœur pour ce bout du monde, balayé par le vent… Jacques y reviendra. Tout un réseau d’amis prendra l’habitude de venir ici : Marcel Carné, qui tournera La Marie du port à Cherbourg, Boris Vian, lors de ses fréquents séjours à Landemer, Henri Salvador, Henri Crolla, René Bertelé son éditeur et ami. Tout près s’installeront les Racz et Trauner, l’ami fidèle….
Cet hôtel était devenu le siège de la galerie d’antiquités que je dirigeais, quand en 1966, Prévert croyant qu’il existait toujours, me téléphone, désireux de réserver une chambre pour son frère. C’est ainsi que j’ai rencontré la famille Prévert et commencé à lui louer des chambres inoccupées. Je suis devenu à jamais pour eux « Gérard de Goury » (Jacques signa lui même plus tard le courrier qu’il m’adressait « Jacques d’Omonville-la-Petite »), et le spécialiste des homards dont les Prévert se régalaient ! C’est aussi cela qu’ils aimaient ici : la bonne vie au bord de la « vraie » mer, en même temps que dans une « vraie » campagne, où les amis prenaient plaisir à se retrouver pour faire la fête. Ce n’est pas la solitude que Prévert venait chercher ici, non ! Il était tout le contraire d’un solitaire, il aimait avoir sa cour autour de lui, préférait les jeunes, et créateurs de préférence. Et puis, comme il aimait le dire : « Ici, on me fout la paix ! »
On n’avait jamais l’impression de le voir travailler. Parfois, il quittait la table pour griffonner quelques notes, mais c’était léger, simple. Vers la fin, il nous dit « je n’ai jamais rien foutu de ma vie », étonnant quand on fait l’inventaire de tout ce qu’il a réalisé, poèmes, scénarios, collages ! Il vivait, c’était tout.
Je suis devenu très proche d’eux, Janine Prévert m’appelait « mon fils préféré ». Ils n’avaient qu’une fille, Minette, de deux ans plus jeune que moi. C’est d’ailleurs pour elle que les Prévert avaient élu La Hague : à huit ans, ce lieu était le seul où elle consentait à manger. J’étais son ami, son complice, tout cela nous rapprocha.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.