NOUZONVILLE
Jean Rogissart, instituteur et romancier ardennais,
par Jacques LAMBERT
(extrait)
Jean Rogissart naît à Braux en 1894, au pied des « Quatre-Fils-Aymon », dents de scie rocheuses surplombant la Meuse, en qui la légende voit Renaut, Allard, Guichard, Richard et leur cheval Bayart. Cette « colline inspirée », selon Jean-Paul Vaillant, accouchait alors d’un autre « rebelle », de la littérature cette fois-ci, au patronyme lui aussi terminé par « art ». L’écrivain le confirma souvent, allant jusqu’à ne se reconnaître aucun mérite à « faire une gerbe » des fables et contes épiques qui poussaient drus dans une Ardenne au « climat sévère, engendré avec la collaboration occulte et obscure de ses vents, de ses senteurs forestières, de l’odeur de ses eaux et de celles de ses pierres ». Camille Lecrique le décrivait comme enfanté par cette nature : « Un gros nez fendu en double bulbe, dont le bourrelet goulu flatte l’automne comme un fruit, de petits yeux scrutateurs sertis de rides, une lippe proéminente d’où l’on dirait que vont sortir les paroles en boutoirs, une forte carcasse de boquillon et droit là-dessus un front noueux surmonté d’une touffe de joncs gris. » Ces « paroles en boutoir » atteignirent Jean-Paul Vaillant qui, un jour de réception des contribuables à Signy-l’Abbaye, subit les assauts de notre homme, furieux de payer trop d’impôts. « Ce premier contact fut donc sanglier », rapporta-t-il ! Cela n’empêcha pas ensuite les deux hommes d’assurer le succès de la Société des écrivains ardennais.
Les deux premiers écrits de Rogissart, Coline, le meunier du pays en 1932 et Mervale en 1937, ne sont pas irrigués par l’Ardenne mais par les villages des Crêtes pré ardennaises : Yvernaumont, Villers-sur-le-Mont, Signy-l’Abbaye, Touligny, Hocmont, où il fut instituteur. Il avait choisi ce « métier d’existence », exercé avec « une haute et pure conscience professionnelle », pour vivre dans les Ardennes. De plus, il lui permettait de recueillir les matériaux nécessaires à l’écriture de ses livres : « Rien de tel pour bien connaître les hommes [que] cette possibilité que m’ont procurée des attributions aussi variées que secrétaire de mairie rurale, maître d’école mixte, agent d’assurances contre l’incendie, le tout inclus dans la tâche d’instruire des enfants ».
Ainsi, le livre qui fit connaître Rogissart, Mervale, était-il d’après ses dires, la synthèse de ce qu’il avait découvert grâce aux postes qu’il occupa et aux promenades qu’il fit dans les bois de Froidmont, « pour le paysage et pour les sites, pour les coutumes aussi ». C’est à Rouvroy-sur-Audry qu’il avait entrepris ce deuxième roman-nouvelle qui aurait dû s’appeler Mérale, comme un petit hameau situé à côté de Guignicourt, si le poète de Nouzonville, Théophile Malicet, ne lui avait suggéré l’ajout heureux d’un « v ».
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.