Franz Bartelt à Nouzonville

NOUZONVILLE

Franz Bartelt : nulle part, mais en Ardennes
par Alain BERTRAND

Vues de Paris, les Ardennes c’est la province sans le charme de la province. Les Ardennes sont un non lieu, un espace oublié aux marches de la République. Elles ne jouissent pas de l’image estivale des lieux de vacances. On ne leur accorderait pas le privilège du bon vieux terroir. Pas étonnant, dès lors, que Bartelt ait déclaré que ses romans ne seraient pas datés, jamais situés dans un lieu identifiable, ne feraient jamais référence à l’actualité.

Car l’œuvre de Bartelt est tout le contraire d’une littérature enracinée : les Ardennes, pour lui, ressemblent à une page blanche. Elles existent dès lors qu’on en parle. Elles vivent surtout par l’écriture : « Je n’écris pas pour dire quelque chose, mais pour écrire quelque chose ».

Très tôt, à l’usine, dans son quartier ou au bistrot, Franz Bartelt s’est mis à l’écoute des gens. Il existe en Ardennes une précarité extrême confirmée par les statistiques sur la santé mentale ou l’alcoolisme. Les œuvres de Bartelt résonnent de cette précarité existentielle qui leur donne une forme singulière. Par le langage, qu’il transcende dans une prose époustouflante tant il joue des registres comique et tragique, ménageant des surprises dignes d’un Blondin pour la maîtrise musicale, d’un Marcel Aymé pour la facétie pétillante et d’un Louis-Ferdinand Céline pour la noirceur juteuse. Ajoutons que le style, ici, est mis au service de l’homme et que la compassion qui sourd à chaque page émeut autant qu’elle interroge. Les personnages de Bartelt sont-ils des médiocres ? Oui, dès que le jeu social entreprend de les métamorphoser en pantins avides de pouvoir ou de richesses. Pour le reste, chacun participe à la grande aventure de l’humanité, en proie aux mêmes questions, aux mêmes angoisses, aux mêmes désespoirs. En ce sens, les livres de Bartelt remontent aux sources de la condition humaine. Si sa plume met en lumière la cocasserie, la bêtise, la cupidité, la veulerie ou les vices des uns et des autres, ce n’est jamais pour juger, mais pour souligner ce que nous sommes tous en vérité et pour faire œuvre de solidarité, en toute fantaisie – et donc sans concession pour les fausses raisons de vivre.

Les ouvrages de Franz Bartelt sont profondément français par la clarté de la phrase, l’ironie cinglante, le sens de la fraternité. Les colore aussi une touche flamande nourrie de carnavalesque, de mélancolie et de poésie. Cette ouverture trouve peut-être ses origines dans un double enracinement. D’origine poméranienne, donc protestante, son père était menuisier ébéniste. Quant à sa mère, normande et catholique, elle lui apprend à lire dans les romans policiers qu’elle dévore au rythme de un par jour.

Franz est né le 7 octobre 1949 aux Andelys, en bord de Seine. Sa famille déménage en Ardennes alors qu’il a 4 ans. Depuis 1980, il vit à Nouzonville, à quelques encablures de la Meuse. À 13 ans, il commence à écrire et quitte l’école l’année suivante après avoir tâté de la pataphysique et des marionnettes. Il enchaîne les petits boulots (porteur de sacs de lait et de sucre, tireur de plans de l’hôpital psychiatrique de Charleville…) jusqu’à entrer à 19 ans dans une usine de transformation de papier où il restera jusqu’en 1984 tout en écrivant la nuit. Il faut ici préciser que Bartelt est un nom d’origine allemande qui signifie « formidable travailleur ». On ne s’étonnera pas de la puissance de travail de l’auteur qui aligne chaque année ses 2 000 feuillets dans des genres aussi divers que le roman, la nouvelle, la chronique, le théâtre, le billet d’humeur, la poésie, l’essai sentimental et dans ce que nous appellerons son « laboratoire d’écriture », sorte de journal qu’il tient depuis une trentaine d’années chaque matin à propos de tout, de rien et du temps qui passe. […]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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