Nîmes
Auteurs occitans dans le Gard,
par Jean-Marie Marconot
(extrait)
La Cançon de la crosada (Chanson de la Croisade), épopée fort célèbre, écrite au XIIe siècle par deux auteurs occitans, consacre 900 vers, 10 % du texte, au siège de Beaucaire, qui voit la défaite de Simon de Montfort en 1216. Quelques années auparavant, en 1208, Pierre de Castelnau, légat du pape venu réprimer les Cathares, avait été assassiné entre Saint-Gilles et Beaucaire. Raymond VI, comte de Toulouse et Saint-Gilles, est accusé de ce meurtre. Il doit se soumettre, et sera flagellé en public devant l’abbatiale. Le déclin de la cité commence à cette date, au profit de Beaucaire, qui aura la foire internationale, et d’Aigues-Mortes qui aura le port, départ des croisades. La Chanson de la Croisade, puis l’Embarras de la foire de Beaucaire, sur le même lieu, montrent les deux excès, quand les marchandises abondent, et quand les « hérétiques » doivent se cacher, dans un Bas-Languedoc terre de migrations.
Beaucaire supplante Saint-Gilles, et sa foire restera célèbre du Moyen Âge à la création du chemin de fer. Un auteur nîmois, Jean Michel, a écrit l’Enbarras de la fieiro de Beaucaire, en 1657. Avec le texte qui la complète, Suite à l’Embarras de la foire de Beaucaire, nous tenons 4 000 vers, en tableaux pittoresques « burlesques », mais remplis d’humanisme. Un homme seul n’aurait pu avoir vécu tous ces épisodes : il a travaillé avec son groupe pendant dix ans. Il décrit le déroulement d’une foire : les embouteillages de Nîmes à Beaucaire, la hâte fébrile qui gagne Beaucaire à la bonne nouvelle : « Nous avons la foire. » Il parcourt les différentes rues et les marchands groupés par corps de métiers, les baraques sur le pré au bord du Rhône. Il montre les aspects inattendus, la petite université de lettres et techniques, la vie nocturne, la police. L’énumération des noms de métier est un document. En quelques pages, il cite trois cents noms, dont nous n’avons pas toujours un équivalent : rémouleurs, groliers, selliers, chambrières et autres… La Suite à l’Embarras décrit les retours manqués. Au bord de la route, les endormis cherchent une charrette pour revenir, mais ils se trompent de sens et se retrouvent à Beaucaire au petit matin. L’auteur est réaliste. Euphémismes et interdits de langage n’existent guère chez lui. Il a le charme des textes du Moyen Âge, quand on n’a pas honte de son propre corps.
En 1685, le roi surveille les protestants et construit le fort Vauban au-dessus de la ville. Jean Michel était protestant. Vivant de 1603 à 1689, il connaîtra les persécutions : ses enfants ont dû s’exiler. Il écrit encore une série de poèmes, publiés en 1775, sur des thèmes « burlesques » ou sérieux, récits de vie ou paraphrases bibliques. Simple marchand de drap, il avait appris le latin, le grec et l’espagnol. Il écrit en languedocien. Son orthographe n’est pas toujours rigoureuse. Les conditions matérielles ne le permettent guère, son éditeur fait ses excuses au lecteur, car il ne connaît pas la langue d’oc.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Gard, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2008