Nice Gide

Gide et le « château de l’esprit »

par Frank Lestringant*

Sa vie durant, Gide a répugné à tout enracinement. On connaît sa phrase célèbre : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? » Dans le Midi, ce fils de bonne famille ne s’est donc pas enraciné, mais il a souvent séjourné. Deux ans après la mort de son père, le juriste Paul Gide, il accompagne sa mère sur la Côte d’Azur à l’hiver 1884. C’est une révélation pour l’adolescent habitué au ciel changeant de la Normandie, où il passe régulièrement ses vacances d’été. Mère et fils séjournent à Hyères, puis à Cannes, dans le quartier de la gare. Cannes, à cette époque, reste une petite ville, malgré les grands hôtels où descendent les Anglais fortunés ; la route du Cannet sinue sous les oliviers. Dans leur ombre grise, s’épanouissent des narcisses, des anémones et des tulipes. André, qui aura toute sa vie la passion des sciences naturelles, herborise avec conviction.

Retour sur la Côte d’Azur en janvier 1898, au temps de l’affaire Dreyfus. Gide est accompagné cette fois de Madeleine, qui est sa cousine et depuis trois ans son épouse. Le couple s’apprête à gagner l’Italie pour s’évader d’une France déchirée par l’une de ces interminables querelles dont elle a le secret. À Nice, les époux Gide passent huit jours à la Villa Arson, un domaine de deux hectares dominant la ville et la baie des Anges. Le jardin en terrasse, avec ses rosiers en fleurs parmi les cyprès, les enchante. Mais le froid les chasse plus loin, vers l’est et le sud. Dans le train de nuit qui l’emporte le long de la mer en direction de Gênes et de Rome, Gide note cette impression fugitive : « Des lisières blanches de vagues de ténèbres viennent presque affleurer la voie »…

Extrait de l’ouvrage : Balade à Nice, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, avril 2012

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *