NANTES
Jacques Vaché, Aragon et André Breton, les bâtisseurs du rêve surréaliste,
par Patrice Allain
(extrait)
Dans un texte daté de 1926 présentant le peintre Pierre Roy, artiste parfois catalogué comme l’un des précurseurs du surréalisme pictural, Louis Aragon s’interroge : « Qui est né à Nantes comme tout le monde. Qui est né à Nantes ? ». « Pierre Roy comme tout le monde […] À Nantes. Est né à Nantes. Le monde. […] C’est à Nantes qu’est né le monde Nantes », reprend-il. L’idée de cosmogonie est loin ici d’être anodine ; elle recouvre en fait clairement le projet d’André Breton. La cité ducale fut pour le futur chef de file du surréalisme – et resta – la ville édificatrice par excellence.
Mais c’est encore à Aragon que l’on doit l’une des premières mentions de Nantes dans une œuvre rattachée à la littérature surréaliste. Anicet ou le Panorama, récit à clés écrit de 1918 à 1920, met en scène les prémices du surréalisme, caricaturant André Breton sous les traits d’un personnage nommé Baptiste Ajamais : « Nul ne lui avait dit, en le voyant parcourir Nantes en juillet 1916, comme un avare avec son ombre, quel effroi stupide saisissait les enfants des faubourgs quand il passait près d’eux comme un automate. Pour se donner des raisons d’être, il composait des vers galants […]. C’est alors qu’il rencontra Harry James, l’homme moderne de qui les héros de romans populaires, de livraisons américaines et de films d’aventures ne représentent que des fragmentaires reflets. » Aragon dévoile ici la pierre d’angle de l’édifice. Si cette ville occupe une place privilégiée dans le paysage mental du mouvement, c’est bien parce qu’André Breton, affecté comme interne provisoire à l’hôpital militaire de la rue du Boccage, y fait la connaissance de Jacques Vaché – alias Harry James, alias Jacques Tristan Hilar –, alors soigné en ces murs. En tête de la nomenclature des « faits glissades » qui balisèrent l’itinéraire intellectuel et sensible du créateur du surréalisme s’inscrit cette épiphanie fondatrice. « S’il est une influence qui ait joué à plein sur moi, c’est la sienne », confiera-t-il par la suite. De facto, la rencontre capitale de Jacques Vaché à Nantes a tenu lieu d’initiation. La personnalité de Breton s’y est façonnée, ses choix artistiques – mais aussi éthiques – s’y sont affirmés.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Loire-Atlantique, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, février 2009