MONTREUIL-SUR-MER
Victor Hugo, Le Pas-de-Calaus et Les Misérables
par Arnaud LASTER
(extrait)
Victor Hugo n’a traversé le Pas-de-Calais qu’une seule fois, au cours de son voyage estival de 1837 avec Juliette Drouet – le quatrième en sa compagnie. Il avait 35 ans et, si l’on se réfère à son passeport de 1834, une taille d’1m 73, les cheveux et les sourcils encore châtain, le front haut, les yeux bruns, le visage ovale, le teint coloré…
Les traces de ce passage dans son œuvre sont sans commune mesure avec sa brièveté. Parti de Paris le 11 août, il est à Arras le 13 et descend à l’hôtel d’Europe, comme l’atteste un fragment de carnet retrouvé. Les goûts esthétiques de l’auteur de Marion de Lorme, d’Hernani et de Notre-Dame de Paris le rendent sensible au « style flamand-espagnol du temps de Louis XIII » de deux places ainsi qu’au charme de l’hôtel de ville du xve siècle « accosté par un délicieux logis de la Renaissance ». Mais là comme à Paris, le vandalisme officiel sévit : des architectes ont prétendu en « enjoliver » la façade, « ce qui la fait ressembler à un décor gothique de l’ancien Ambigu ».
Il se rend ensuite en Belgique, où il voit et emprunte pour la première fois un nouveau moyen de locomotion, le train, et sur le chemin du retour fait halte à Étaples le 3 septembre, d’où il écrit à sa fille Léopoldine, âgée de treize ans : « J’ai cueilli cette fleur pour toi dans la dune », auquel fera écho l’incipit d’un poème des Contemplations : « J’ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée ». Il lui confie aussi qu’il a tracé son prénom sur le sable : Gilliatt, dans Les Travailleurs de la mer, tracera le nom de Déruchette dans la neige… La lettre porte le timbre postal : « Montreuil sur mer 4 sept 1837 ». Est-ce parce que Léopoldine se noiera dans la Seine, six ans après, jour pour jour, que Hugo fera naître Fantine à Montreuil-sur-Mer, dans le roman qu’il entreprendra en 1845 et qu’il intitulera Les Misérables ? est-ce parce qu’il serait passé à La Madeleine-sous-Montreuil que Jean Valjean se fera connaître à Montreuil sous le nom de Madeleine ?
Le 4 septembre 1837, après avoir déjeuné à Montreuil-sur-Mer, Hugo couche à Bernay, d’où il envoie le soir même et le lendemain, ses impressions à sa femme Adèle. Il est passé par Calais dont le beffroi et son carillon nain l’ont amusé mais dont il a refusé de visiter la citadelle, comme toutes celles qu’il a rencontrées : une citadelle, en effet, est pour lui une colline « coupée au cordeau, taillée à pans droits, murée et gazonnée géométriquement et passée à l’état classique ». Or, il aime « la courbe, […] la pente capricieuse, la verdure libre, et Shakespeare ». D’où l’agrément que lui ont procuré les contrastes de grandeur et de petitesse et les collines et les vallées s’enflant et s’abaissant « en ondulations magnifiques » tout au long du trajet jusqu’à Boulogne-sur-Mer, où il ne critique que l’impudence des garçons de l’Hôtel du Nord : « une famille de pauvres voyageurs […], fort inquiète du haut prix probable des repas, s’ingéniait pour n’en faire qu’un par jour. Sur quoi, ricanements odieux des garçons ». Que l’humiliation des misérables soit insupportable à Hugo, Ruy Blas, rédigé l’année suivante, le confirmera. Pour le moment, il fait ce constat : « Décidément, je hais de plus en plus chaque jour les grands hôtels, les grandes villes, les grands seigneurs et les grands laquais. Tout cela est insolent, vide et creux. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006