MONTLHÉRY
Paul Fort, le prince des poètes
par Pierre BÉARN
(extrait)
Vous le savez, Francis, aimant l’Ile-de-France,
qu’une ville, un pays, décoré d’un beau nom,
Bien mieux que ses voisins nous fait des confidences
et que ce beau nom-là doit se joindre à ses dons.
trophe dédiée à Francis Jammes
Paul FORT
Ce jour-là, il examinait la vitrine des éditions Nathan, riche en livres scolaires, en images. Moi aussi. Un côte à côte qui devint bientôt une des amitiés les plus solides de ma vie.
Nous avions tant de choses à nous dire que nous allâmes bavarder dans un café dont le comptoir était accueillant, et Paul Fort commanda très simplement: «Un Ricard à la houppe ! ».Tête du garçon ! Je dus lui expliquer qu’il s’agissait d’un apéritif avec de la glace. Et il se mit à rire, en sorte qu’il trouva tout à fait normal de nous servir,en seconde tournée, deux Ricard cœur de lion! Cette facétie, c’est tout Paul Fort: un funambule de la bonne humeur.
Ce qui étonnait les poètes célèbres de son temps, c’est qu’il était le seul, avec Géraldy (lequel vendit Toi et Moi à plus d’un million d’exemplaires, alors que les grands éditeurs l’avaient refusé), à vivre de la vente de ses livres de poésie. C’est toujours vrai.
Pour vivre de ses Ballades françaises, dont les premières parurent en 1897, il lui fallait trouver une clientèle. Or, Paul Fort n’était pas catholique ou Vous le savez, Francis, aimant l’Ile-de-France, qu’une ville, un pays, décoré d’un beau nom, Bien mieux que ses voisins nous fait des confidences et que ce beau nom-là doit se joindre à ses dons. Strophe dédiée à Francis Jammes protestant, ou juif; il n’était pas homosexuel et pas davantage franc-maçon. Rien. Tout à créer. Il n’était qu’un être profondément humain. Mais sa poésie pouvait plaire à tous ; elle était simple, facile à comprendre, amusante et gentille, écrite pour tous ceux qui aimaient la vie. Alors il eut l’idée de conquérir les enseignants.
Peu à peu, sans cesse alertés par lui, institutrices et instituteurs firent entrer ses Ballades françaises dans les classes sans passer par les programmes officiels. Gros succès. Les gosses étaient en extase. Ils aimaient mieux Paul Fort que La Fontaine, traducteur de génie qui n’écrivait que pour les grands bourgeois, alors que Paul Fort était accessible aux gamins. Ses poèmes aidaient les enseignants de la communale à faire connaître à leurs élèves l’histoire de la France.
Mais on n’écrit pas sur l’histoire d’un pays sans aimer ses arbres, ses rivières, ses paysages, sa poésie. C’est ainsi qu’après Montmartre et Montparnasse, la Russie et l’Amérique du Sud, Paul Fort découvrit l’Essonne.
Est-ce à cause de la Tour et de Louis XI, sa passion, qu’il s’installe à Montlhéry ? Probablement. Il habita tout d’abord une petite maison de la place du Marché, où son bistro existe toujours. De sa fenêtre, il pouvait s’inspirer du mouvement de la foire des tomates et des légumes des cultivateurs qui peuplaient alors ce petit village — lequel est devenu depuis une sorte d’oasis cernée par les démences du béton. Pas de maison de plus de quatre étages dans Montlhéry, et une multitude de chemins, de la Justice, du Polonais pendu, du Moulin à vent, des Cerveaux, des Processions, de la Mère-Dieu, des Chaperons, des Terres fortes. Les Terres fortes, où j’habite avec ma femme depuis 24 ans.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains, Alexandrines, 2010