AVRANCHES, LE MONT-SAINT-MICHEL
Le Mont-Saint-Michel et la Baie
La Cité des Mots,
par Henry Decaëns
(extrait)
Le site grandiose de la baie du Mont-Saint-Michel, où le ciel, les sables de la grève et la mer se confondent, ne pouvait qu’inciter les hommes à se tourner vers les activités spirituelles et intellectuelles. Les chanoines installés en 709 sur le rocher par saint Aubert, fondateur du premier sanctuaire dédié à l’Archange, possédaient déjà des manuscrits ; l’un d’entre eux a rédigé, sans doute au début du ixe siècle, le texte de la Revelatio qui relate la fondation du Mont. Leurs successeurs bénédictins, à partir de 966, ont partagé leur vie entre la prière et le travail. Leur activité intellectuelle et artistique a été si féconde, notamment aux xie et xiie siècles, que l’abbaye a été surnommée la cité des livres ; 203 manuscrits provenant du scriptorium montois sont encore conservés à la bibliothèque municipale d’Avranches.
Cette activité intellectuelle intense a été interrompue par la Révolution qui a chassé les moines en 1790 et transformé l’abbaye en prison en 1793. Cette nouvelle affectation, catastrophique pour les bâtiments, n’a cessé qu’en 1863. Mais, grâce au mouvement romantique, le monument a toujours attiré des écrivains et des poètes ; ils nous ont fait partager leur admiration pour le site et le monument dans le récit de leurs voyages.
Parmi les écrivains du début xixe siècle, tous n’ont pas été sensibles à la beauté du site et du monument. Dans ses Mémoires d’un touriste (1838), Stendhal avoue même son indifférence : « Il m’a paru si petit, si mesquin, que j’ai renoncé à l’idée d’y aller. »
Mérimée, qui a visité le Mont en 1841 lors d’une tournée d’inspection des monuments historiques, n’a guère été séduit par le monument : « Le granite n’est point destiné à faire des clochetons et des crosses, […] et la brume salée de l’Ouest a déjà fait justice de toutes les moulures. Elles ressemblent à des morceaux de sucre imbibés d’eau. »
À ces réactions peu flatteuses s’oppose l’enthousiasme de Charles Nodier, qui a vu l’abbaye en 1820, de Viollet-le-Duc et surtout de Victor Hugo qui la découvrirent respectivement en 1835 et en 1836. Viollet-le-Duc avait alors vingt-et-un ans ; il parcourait la France pour étudier et dessiner ses monuments. Il parle du Mont avec passion dans une lettre adressée à son père le 30 mai 1835 : « Rien n’est plus beau, rien n’est plus sauvage, rien n’est plus grandiose, rien n’est plus triste. Il faut voir ses tours de granit frappées par la mer, il faut entendre le vent qui le soir mugit dans les grands escaliers du château [c’est ainsi que l’on appelait alors l’abbaye], le cri de l’hirondelle, et le battement des fenêtres livrées à la tempête, pour se faire une idée de l’effet lugubre de cette masse de bâtiments, de ses effets variés, de son imposante majesté. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.