MARSEILLE
Des écrivains entre le camp des Milles et Marseille 1940-1942
par Robert Mencherini
En mai 1940, de nombreux artistes et écrivains étrangers, ressortissants du Reich, sont internés au camp des Milles, une ancienne tuilerie à quelques kilomètres au sud d’Aix-en-Provence. Certains ont déjà connu les rigueurs de ce camp où ils ont été enfermés comme « sujets ennemis » en septembre 1939, au début de la guerre entre la France et l’Allemagne. C’est le cas de l’écrivain allemand Lion Feuchtwanger. D’autres arrivent plus tard, autorisés à préparer leurs papiers pour quitter la France : le camp des Milles est devenu un camp de transit pour étrangers en instance de départ. Anna Seghers, l’épouse du Hongrois Laszlo Radvanyi, transféré du camp du Vernet aux Milles, effectue ces démarches, auprès des consulats repliés à Marseille. Elle réside dans la cité phocéenne et décrira l’univers angoissant du Transit. Jean Malaquais partage aussi, à Marseille, les mêmes tourments de cette Planète sans visa. Il fréquente alors la petite communauté regroupée pendant quelques mois dans la villa Air Bel autour d’André Breton et de Varian Fry, un Américain venu en France pour aider les artistes et intellectuels persécutés.
Lion Feuchtwanger, né à Munich en 1884, est l’auteur du roman à succès Le Juif Süss, paru en 1925. Les nazis se sont emparé de ce titre pour un film antisémite, véritable antithèse du roman. Pour échapper aux persécutions, Lion Feuchtwanger a été contraint de quitter l’Allemagne en 1933. Réfugié en France, il s’est établi dans la petite ville de Sanary sur le littoral varois. Mais, comme tous les ressortissants allemands, il est interné aux Milles en septembre 1939, puis de nouveau, en mai 1940, au moment de l’offensive allemande. Lion Feuchtwanger décrit dans Le Diable en France (en référence à l’expression « Heureux comme Dieu en France »), paru en 1942, la vie dans la tuilerie à peine équipée, la paille répandue sur les claies pour les couchettes, les sanitaires très sommaires, la nourriture insuffisante. Il évoque nombre de grands artistes, intellectuels, hommes politiques réduits à un état misérable. Il relate aussi l’équipée du train qui, en juin 1940, pour fuir l’avance allemande, part vers Bayonne. Mais les Allemands occupent déjà le littoral atlantique et le convoi fait demi-tour, pour déposer les internés près de Nîmes, au camp Saint-Nicolas. C’est de là que Lion Feuchtwanger réussit à s’échapper avec l’aide du vice-consul américain…