MÉRÉVILLE
Un prix d’excellence rebelle : Jean-Louis Bory
par Raymonde AUTIER-LEJOSNE
(extrait)
En 1945, Méréville entrait avec fracas dans l’histoire littéraire. Jean-Louis Bory recevait le premier prix Goncourt décerné après la guerre. Il était et reste le plus jeune des lauréats du Goncourt. Mon village à l’heure allemande, tel était le titre de son roman, c’était Méréville rebaptisé par lui « Jumainville » et devenu en un jour l’archétype peu glorieux de tous les villages français pendant l’Occupation. Il était né vingt-six ans plus tôt, le 25 juin 1919, à Méréville. Jeanne, sa mère, souhaitait une fille. Ce fut un garçon. Elle le prénomma Jean-Louis.
Ses parents étaient déjà des personnages locaux: c’est dans l’arrière-boutique de son officine de pharmacie que son père Louis Bory préparait ses sirops. Mais en véritable Parisien des Batignolles, original notoire, il préférait s’évader, son chevalet sur l’épaule, pour saisir sur le vif la campagne environnante ou… animer la troupe théâtrale du pays pour laquelle il écrivait des vaudevilles avec à-propos et ironie.
Madame Bory veillait à l’instruction des petites filles du pays. Jean-Louis fit avec elle ses premières découvertes scolaires et l’on imagine avec quel bonheur elle dut s’émerveiller des aptitudes de son fils, déjà prix d’excellence aux distributions de prix. Mêmes résultats au collège d’Étampes où les deux Bory —car Jean-Louis a un frère plus jeune — laisseront le souvenir d’élèves exceptionnels : Jacques, à l’esprit scientifique et rigoureux, futur médecin et Jean-Louis, le littéraire, l’imaginatif qui décide de poursuivre ses études en khâgne à Henri-IV. Il profite intensément de ces années d’initiation à la vie des lettres et des arts à Paris. Mais lorsqu’il est reçu à l’agrégation de lettres classiques, le hasard des nominations ministérielles l’envoie enseigner à Haguenau où il se sent en exil.
Et là, à peine installé, ô divine surprise ! il apprend que le roman qu’il a écrit un peu comme on jette un cri et qu’il vient de publier a reçu le prix Goncourt.
Jean-Louis plane… Avec ses droits d’auteur et le montant du prix, il rénove « La Calife », une maison appelée jusqu’alors « Villa des Iris » que ses grands-parents paternels avaient achetée en 1880, au bord de la Juine, presque en face du Moulin du Pont, «parce qu’ils voulaient se retirer dans un endroit frais et calme». Il peut aussi s’installer à Paris dans le Quartier Latin. Il a demandé en effet à l’Éducation nationale une mise en disponibilité.
Dorénavant, c’est entre ces deux pôles, Méréville et Paris, que sa vie s’organise. Méréville avec de longues fins de semaine studieuses où il tente de créer son œuvre littéraire loin de l’agitation parisienne et Paris où il se frotte à toutes les difficultés d’une célébrité trop vite acquise et difficile à garder. Le désenchantement ne tarde guère. Les ouvrages suivants, formant un cycle romancé sur la vie et l’histoire du village de Jumainville, composés pourtant avec application et exigence, ne se vendent pas.
Il a donc repris l’enseignement, d’abord à Montgeron puis au lycée Voltaire et enfin à Henri-IV où il avait été élève. Son non-conformisme, sa faconde, ses talents d’orateur, sa vaste culture, laissent chez ses élèves le souvenir émerveillé d’un professeur exceptionnel.
Mais il abandonnera finalement cette carrière et sa sécurité. Le 6 septembre 1960, en pleine guerre d’Algérie, le journal Le Monde nannonce que 121 écrivains et artistes ont signé une déclaration de droit à l’insoumission. Intellectuel engagé à gauche, sans toutefois adhérer à aucun parti, Jean-Louis signe ce manifeste. Convoqué par le ministre, il refuse de se désavouer et quitte l’enseignement. Cette affaire le propulse un peu malgré lui au rang de phare dans les milieux de l’opposition d’alors et l’oblige surtout à partir de ce moment-là à vivre de ses écrits, ce qui est particulièrement difficile.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains, Alexandrines, 2010