MAUPERTHUIS
Gautier et les petits paysages à la manière des flamands
par Claudine LACOSTE
(extrait)
Grâce à l’appui de l’abbé de Montesquiou, alors ministre de l’Intérieur, le père de Théophile Gautier obtint sa nomination de chef de bureau à l’octroi de Paris. La famille quitte Tarbes en 1815 – le jeune Théophile est alors âgé de quatre ans – et s’installe à Paris dans le Marais. Gautier connut donc très jeune l’enfance d’un petit Parisien, ce qui explique l’importance que va revêtir pour lui l’évasion vers la campagne, seuls voyages effectués par la famille – car il s’agissait bien d’un véritable « voyage ».
Le but en était tout désigné : encouragés par l’abbé de Montesquiou, qui estimait que le jeune Théophile, fort pâlot, avait besoin de l’air vivifiant de la campagne, Mme Gautier et ses enfants passaient l’été à Mauperthuis, à quelques kilomètres de Coulommiers. Mme Gautier y était née, y avait passé son enfance, et elle y retrouvait une de ses sœurs. Leur père, Jacques Cocard, avait été vers 1750 intendant du château du comte de Montesquiou, puis en 1777 substitut du procureur fiscal du bailliage de Coulommiers. La famille Gautier logeait chez une brave femme, la mère Louise, qui avait connu la famille Cocard, et qui habitait la maison voisine du presbytère, ancienne maison de charité construite par les soins du marquis de Montesquiou.
Véritable voyage à l’époque, disions-nous. Quitter Paris au milieu des maraîchers et des embarras divers demande au moins deux heures pour atteindre la barrière du Trône, au rythme d’une voiture qui a du mal à se frayer son chemin. Le trajet nécessite une étape nocturne dans une auberge, et le départ le lendemain matin se fait dans la fraîcheur de l’aube d’une matinée d’été. L’adolescent, très heureux, s’arroge la fonction d’« historien » de cette aventure et, pour être à même de tout observer, se poste fièrement sur le devant de la voiture.
À Mauperthuis, cependant, la vie est sans histoire : les jeux entre cousins et enfants du village, les promenades et les rêveries bucoliques dans un paysage aux lignes douces conviennent parfaitement à un jeune poète déjà tout imprégné de la lecture des poètes antiques, grâce à ses solides études classiques. La légende prête à l’adolescent une idylle avec une jeune villageoise, Hélène, mais qui a gardé son mystère : on n’a d’elle que quelques allusions dans les premières poésies de Gautier, déjà très discret et très pudique dans ses épanchements. Il s’adonne à la poésie et profite de ses loisirs pour peindre ; mêlé à la vie du village, il fait le portrait des autochtones, le boucher et la bouchère par exemple. Il peint également une grande toile, Saint Pierre guérissant un paralytique, qui prendra place dans l’église de Mauperthuis, où l’on peut encore la voir aujourd’hui.
Toujours est-il que ces séjours à Mauperthuis ont marqué sa sensibilité, et l’on en retrouve des échos dans l’ensemble de son œuvre, même si la nature n’y a pas occupé la place majeure. Voici comment il décrit en 1832 cette « belle campagne » :
« Ce sont de petits paysages à la manière des Flamands, d’une touche tranquille, d’une couleur un peu étouffée ; ni grandes montagnes, ni perspectives à perte de vue, ni torrents, ni cataractes. Des plaines unies avec des lointains de cobalt, d’humbles coteaux rayés, où serpente un chemin, une chaumière qui fume, un ruisseau qui gazouille sous les nénuphars, un buisson avec des baies rouges, une marguerite qui tremble sous la rosée. Un nuage qui passe jetant son ombre sur les blés, une cigogne qui s’abat sur un donjon gothique. Voilà tout ; et puis, pour animer la scène, une grenouille qui saute dans les joncs, une demoiselle jouant dans les rayons de soleil, quelque lézard qui se chauffe au midi, une alouette qui s’élève d’un sillon, un merle qui siffle dans une haie. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : La Seine-et-Marne, sur les pas des écrivains, (c) Alexandrines, 2015