MARTIGUES
Charles Maurras, un mistralien en politique
par Axel Tisserand
Lorsque, en 1945, le tribunal annonce à Maurras qu’il est condamné à la prison à perpétuité pour intelligence avec l’ennemi, celui-ci l’entend à peine. Quand on le lui expliqua, on l’entendit crier avec sa voix de fausset – car sourd depuis l’âge de 14 ans, il ne s’entendait pas parler – : « C’est la revanche de Dreyfus ! ».
Charles Maurras est né en 1868 à Martigues, 13 quai Saint-Sébastien, dans le quartier de l’Île. Son père, Jean Maurras en est le percepteur. Sa mère, Marie Garnier, vingt-cinq ans plus jeune que son mari, est une catholique très pieuse.
Très tôt l’enfant acquiert le sentiment d’une menace pesant sur son univers provençal lorsqu’il voit son père suivre sur des cartes l’avancée des troupes prussiennes et il est impressionné par l’arrivée de réfugiés alsaciens-mosellans. Toute sa vie il en gardera le souvenir, ce qui explique en grande partie son antigermanisme virulent et l’oriente vers le nationalisme. Mais c’est la mort subite de son père, en 1874, qui confronte pour la première fois l’enfant, âgé de cinq ans et demi, à la fragilité de l’existence, d’autant que cette mort s’accompagne bientôt d’un déménagement à Aix-en-Provence : sa mère, à la rentrée scolaire de 1876, le fait entrer en 8e au collège diocésain.
Certes, la distance paraît minime, mais quitter Martigues, « posée sur les eaux comme une mouette », pour une ville, dont la « gravité » l’a « glacé », c’est quitter les pêcheurs de l’étang de Berre, les charpentiers du port et toute une vie colorée. Ce déménagement s’accompagne d’un autre traumatisme : sans fortune personnelle, sa mère, pour payer l’établissement privé à son fils, doit louer la maison de Roquevaire, qui lui vient de son mari et où Charles et son jeune frère allaient passer les vacances d’été. Et puis, il y a l’emménagement, ou plutôt l’enfermement dans un appartement au premier étage d’un immeuble situé au coin de la rue Mignet (à l’époque rue Bellegarde) et de la place des Prêcheurs. Enfin, sa mère doit se séparer de sa rare domesticité. Or Sophie, qui lui parlait aussi bien en provençal qu’en français, l’avait initié, à travers contes et anecdotes, à la culture populaire. Quand la surdité lui vient, en 1882, l’adolescent est au bord du suicide.
Toutefois, le retour à Martigues, au moins pour les vacances, sera rendu possible, ce même été 1882, grâce à l’héritage que fait sa mère d’une vieille bastide de la fin du xviie siècle, située Chemin de Paradis. Le Chemin de Paradis sera le titre de son second livre, un recueil de contes philosophiques paru en 1895. Happé à Paris dès l’âge de 17 ans par ses études, le journalisme puis la politique, c’est là qu’il reviendra, aussi souvent que possible. Son cœur sera enterré dans le jardin, dans la boîte à ouvrage de sa mère…
Extrait de l’ouvrage : Balade en Provence, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2012