Charles Péguy à Saclay

LOZÈRE, SACLAY

La vitalité de Charles Péguy
par Thierry VAN EYLL
(extrait)

Charles Péguy, en prose autant qu’en poésie, a créé le style de la louange qui vient de tous côtés, par vagues, le style de l’attaque qui vient de tous côtés, par vagues, comme d’autres ont trouvé un style pour la stratégie qui va droit au but.

Mais la recherche de formes nouvelles n’est pas sa préoccupation première quand il publie (la même année, 1910) Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et Victor-Marie, comte Hugo.

Il déclare que le talent ne suffit pas. Que même le talent peut ronger, ravager. L’époque est trouble, instable, dangereuse, ce n’est pas le moment de se complaire mollement dans un talent ou un autre.

Il vit dans une atmosphère de catastrophe, que seul beaucoup de courage permettrait d’éviter, il se sent le devoir de parler en prophète. C’est un homme inquiet qui s’est installé à Lozère en 1908, mais qui tout de même se détend dans son jardin, et se promène volontiers dans les champs et sous les arbres. Dans le Hurepoix, Péguy s’enchante de la variété des sites, s’enchante de passer, même au cours d’une randonnée qui n’entraîne pas loin, d’une sablière à un verger en terrasse, d’un champ de blé aux bois sur les collines, des arbres le long de l’Yvette à des éboulis de roches.

Dans Victor-Marie, comte Hugo, écrit à Lozère, il fait avec fougue l’éloge de Corneille, de Racine, de Victor Hugo. La force de Péguy entre en contact avec d’autres forces et trouve des trésors. Prenez à un siècle pour donner à un autre. Prenez à un  territoire pour donner à un autre. Généreusement les siècles et les territoires se laissent fouiller les poches par les pillards et les trafiquants. Péguy, chantre de la Beauce, n’a rien d’un écrivain régionaliste, d’un écrivain économe et prudent qui s’abstiendrait d’aller voir ailleurs et d’intervenir ailleurs. Il voudrait se consacrer tout entier à une littérature d’interaction, c’est-à-dire poursuivre avec persévérance une œuvre entrant dans un réseau d’œuvres en conflit les unes avec les autres, et se pillant les unes les autres, et se donnant beaucoup les unes aux autres. Mais la catastrophe arrive en 14, la catastrophe aux huit millions de morts, peut-être plus. Il n’en connaît que les premiers jours : il meurt le 4 août 14, d’une balle en plein front.

Il a quarante et un ans, et pendant les quinze années qui suivent, il n’est qu’un mort assez falot, dont certes une poignée d’admirateurs cite quelques vers,  mais dont le style répétitif passe pour un style tâtonnant. L’image qu’il laisse est celle d’un poète qui s’est converti au christianisme, et qui s’est battu pour sauver Dreyfus, pas seulement Dreyfus, d’autres injustices l’indignaient, et la misère.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains, Alexandrines, 2010

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