LIMOGES
Clancier : une présence, des évidences,
par Pierre Bacle
(extrait)
S’il fallait trouver, dans la littérature du XXe siècle, un personnage de roman auquel rapprocher la posture qui est aujourd’hui encore celle de Georges-Emmanuel Clancier, après plus de soixante-dix années d’écriture, nul besoin d’aller le chercher bien loin : on le trouve à Bellac, en Haute-Vienne, où naquit Jean Giraudoux, et dans les premières pages d’un livre écrit par ce dernier en 1921 dans lequel Suzanne, l’héroïne, habitait « une maison toute en longueur dont chaque porte-fenêtre donnait sur la ville, chaque fenêtre sur un pays à ruisseaux et à collines, avec des champs et des châtaigneraies », depuis laquelle elle avait « pris l’habitude de faire ce demi-tour à tout propos, cherchant à tout passant, au curé, au sous-préfet, son contrepoids de vide et de silence entre des collines »…
Cette proximité distante, cette vie réinventée dans la cité comme dans les prairies alentour, que Giraudoux ne fait qu’effleurer dans ces lignes comme avant de s’élancer définitivement vers les scènes parisiennes et plus tard internationales, Georges-Emmanuel Clancier la placera quant à lui au cœur d’une œuvre foisonnante. Le Limousin, toujours, sera présent, d’une manière ou d’une autre, dans ses engagements d’homme comme dans ses livres.
De sa naissance à Limoges le 3 mai 1914, « dans une famille limousine de paysans, d’artisans et d’ouvriers porcelainiers », et de ses études secondaires au lycée Gay-Lussac, Georges-Emmanuel Clancier conservera en effet des liens indéfectibles avec cette ville dans laquelle il passera également la majeure partie de ses quarante premières années, et que l’on retrouvera, tantôt sous la forme d’évocations précises (notamment dans son roman le plus célèbre, Le Pain noir, 1957-1961), tantôt dans les rêveries poétiques qui animent même sa prose (L’Éternité plus un jour, sans aucun doute le livre qui lui ressemble le plus, celui qui réunit en un seul volume ses multiples facettes, prix des Libraires en 1970) et dans ses nombreux écrits autobiographiques. L’enfance, les souvenirs et les visages aimés, au même titre que certains lieux ou menus détails de la vie de quartier, y sont transcrits avec sensibilité, parfois revus sous le filtre de l’imagination, à la manière d’un Proust qui fut l’une de ses révélations de lecteur alors qu’il reprenait ses études, interrompues à l’âge de seize ans pour raison de santé, à Paris en 1939.