L’HAŸ-LES-ROSES
Ville-Village
par Michel BESNIER
(extrait)
Beaucoup, aujourd’hui, ont deux lieux. Celui où meurent les parents et cet autre où naissent les enfants. Entre les deux, des études, des emplois, des rencontres. Au milieu de ces grandes forces de migration, de mutation, demeure un espace où l’on choisit. Pourquoi, quand on a commencé sa vie dans le Cotentin, la poursuit-on à L’Haÿ-les-Roses plutôt qu’à Paris ou dans une autre ville de banlieue ? Peut-être à cause de ce nom même, L’Haÿles-Roses.
Les villes à terminaison végétale, Bormes-les-Mimosas, Bécon-les-Bruyères, Juan-les-Pins, ont un halo, un parfum qui les poétise et les rend a priori sympathiques. Bien sûr on trouve à L’Haÿ, comme ailleurs, des tours, des quartiers appelés «difficiles». Des voitures y brûlent, d’autres roulent sur l’autoroute du Sud qui coupe la ville en deux, agresse les tympans et les nerfs. Mais, malgré tout ce qui empêche de l’idéaliser, L’Haÿ-les-Roses mérite son nom, par sa roseraie, ses espaces, ses jardins, un reste préservé de province ou de banlieue, de la banlieue telle qu’elle a existé. Ce mot s’est trouvé associé à tous les maux, alors qu’une certaine qualité de banlieue représente un idéal de conciliation : cultiver des poireaux à dix kilomètres du Châtelet. Telle fut ma gageure, renoncer à la province tout en en gardant un ersatz, un rappel. L’Haÿ-les-Roses a été préservée par la géographie, se situant entre deux axes de communication, celui qui mène à Orléans, celui qui mène à Fontainebleau. Entre la nationale 20 et la nationale 7, entre le RER B et la ligne de métro qui a pour terminus Villejuif-Louis Aragon. Entre deux.
Le roman de Gustave Toudouze, Madame Lambelle1, constitue un précieux témo gnage dans l’histoire de l’heureux-malheureux retard de L’Haÿ. Il évoque l’arrivée d’un médecin dans ce village qui n’en avait pas en 1852. On devait courir à Bourg-la-Reine ou à Sceaux pour se faire soigner. En venant s’installer ici, le docteur Lambelle cherchait ce que je cherchais : s’écarter des inconvénients de Paris sans aller trop loin de ses avantages. Quand il fallait marcher vingt minutes depuis la station de chemin de fer de Bourg-la-Reine, cette distance et ce temps constituaient un isolant, une protection. Des mansardes de sa maison, le médecin voyait «la campagne à perte de vue».
Ces champs devinrent champs de bataille en 1870 et firent parler d’un village qui s’en serait bien passé.
Vingt ans après, enfin Gravereaux vint. Finie sa carrière au Bon Marché, il acheta une belle propriété pour s’y consacrer à sa passion et créer la première roseraie d’Europe. Grâce à lui, le nom de la ville s’est joliment allongé. Son jardin est un lieu de visite pour des milliers d’amateurs de roses, un îlot de calme, de rêverie.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, L’Haÿ-les-Roses avait mille trois cents habitants et une fanfare municipale. Aujourd’hui elle a presque trente mille habitants, n’a plus de fanfare : le village est devenu une ville et a perdu tout ce qui alimente les nostalgies des collectionneurs de cartes postales. L’histoire mentale d’une ville est faite d’une sédimentation de nostalgies. Les plus anciennes devraient, selon les cas, relativiser ou aviver les plus récentes, voire éviter celles à venir…
Le personnage de Gustave Toudouze est déjà nostalgique à la fin de l’autre siècle. Madame Lambelle se désole des changements survenus après la guerre de 1870 : «Il n’y a que la Bièvre qui n’ait pas changé.» Les prairies ont été remplacées par les plantations de pépiniéristes et de maraîchers…
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Val-de-Marne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2002