Le Pradet Christiane Rochefort

LE PRADET

Christiane Rochefort,
la beauté, il n’y a que ça de vrai

par Rachel Mizrahi
(extrait)

 

 

Hirondelle. C’est le dernier mot qu’elle a prononcé en regardant la fenêtre. Par la fenêtre elle pouvait voir le ciel bleu et le profil du Coudon. Et une ultime hirondelle venue lui faire ses adieux ?

Elle aimait les hirondelles, elle avait de la tendresse pour tous les animaux sans défense. Comme elle le dit dans son Journal : « J’ai plus de peine pour eux que pour n’importe quels bipèdes. » Elle n’aimait pas les bipèdes. Elle aimait tout ce qui est vivant et beau (beau parce que vivant), les animaux, les oiseaux, les arbres. À commencer par les cailloux.

Cette plage des Oursinières avec ses trésors toujours renouvelés la passionnait au point de lui faire oublier son dos qui lui faisait mal en permanence, et les coups de soleil que ce dos allait s’attirer en prime. Elle disait : « Oui, oui, je vais m’asseoir », mais elle n’en faisait rien. Chercher de beaux cailloux est une activité absorbante, une affaire sérieuse et amusante en même temps. On ramassait les plus intéressants et on les ramenait à la maison. Très vite, il y en a eu partout, mais partout. On se disait qu’il faudrait faire un tri, rendre à la mer la moitié (ou le quart), mais c’était trop fatigant et puis la mer en avait déjà tant. Alors on faisait des blagues du genre : il faudrait acheter une maison plus grande pour les caser tous. Un château ferait peut-être mieux l’affaire, non ? Et ainsi de suite.

Qu’avaient-ils donc ces cailloux pour qu’on les garde ? Ils étaient beaux et la beauté, il n’y a que ça de vrai. J’ai quand même réussi à la convaincre de trier les trésors à la maison, assises, et à l’ombre. On procédait par élimination. Mais on en trouvait toujours un ou deux (ou trois) qui valaient la peine. Et, de temps en temps, il y avait de vrais chefs-d’œuvre. Hiroshige ou Paul Klee en serait fier. On s’amusait à leur attribuer des signatures. Un jour, on est tombées sur un si beau, si parfait, si original, qu’on en a eu le souffle coupé et la langue au chat. Après un long silence, on l’a baptisé le caillou de Dieu. Ça allait de soi.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Var, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, février 2010.

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