LAON
Champfleury ou les souvenirs d’un Sapajou,
Par Yves-Marie LUCOT
(extrait)
Une caricature de Charles Baudelaire montre le profil de son ami Jules Husson, dit Champfleury (1821-1889). Le nez est cassé, la chevelure hirsute et la moustache épineuse. C’est le portrait d’un rustre dont le menton galochard cavale dans les plis d’une cravate en bataille.
C’est le portrait d’un homme brave – jamais un brave homme – dont on devine l’extraction populaire, les poings fermés contre le mauvais sort et l’acharnement au travail pour conquérir un peu de bien et de notoriété.
Ce fut au Café Momus – celui des artistes rebelles à l’ordre bourgeois, rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris – que Jules Husson, qui signait Jules Fleury et menait alors la vie de Bohême, rencontra le ténébreux Baudelaire. Le poète fascina immédiatement le plumitif expulsé des remparts de Laon, sa ville natale qui fait si peu de cas de son écrivain. Et ce fut Baudelaire qui acclimata au Paris des artistes ce jeune littérateur qu’Henri Murger avait pris en amitié en l’aidant à placer articles, contes et nouvelles dans les journaux de la capitale.
En 1844, Champfleury qui n’avait pas un sou vaillant, se constitua une culture d’autodidacte dans les bibliothèques publiques. Baudelaire guida ses progrès. Ce fut, entre le Laonnois à dégrossir et le dandy, le début d’une amitié indéfectible et d’une longue correspondance qui ne s’arrêta qu’à la mort du poète. Mais au temps du Café Momus, puis à partir de 1848, de la brasserie Andler au 32 de la rue Hautefeuille (le repère des « réalistes » dont Courbet, Nadar, Gautier etc.), Arsène Houssaye, le directeur de la revue L’Artiste, exigea que le jeune écrivain change de nom. Il lui découvrit le pseudonyme de Champfleury plus « artiste » et plus mystérieux. Notons au passage, que Houssaye était né à Bruyères-et-Montbérault, un village des collines du pays laonnois.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans l’Aisne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007