LA FERTE-MILON
Racine, une trace légère
par Georges Forestier
(extrait)
« Les 8 et 9 juin 1775, logea à La Ferté-Milon un détachement de chevau-légers qui allaient à Reims à l’occasion du sacre du roi. Un de ces messieurs fit toutes les informations possibles pour connaître la maison où était né Racine avec intention d’y faire mettre une inscription qui en conservât à jamais la mémoire. Ces recherches furent inutiles ; car, comme sept villes dans la Grèce se sont disputé l’honneur d’avoir donné naissance à Homère, on compte à La Ferté-Milon autant de maisons qui se glorifient d’avoir été le berceau du grand Racine. » Moins d’un siècle après la mort de Racine, quarante ans après la mort de sa sœur Marie qui pourtant passa toute sa vie à La Ferté-Milon, un médecin curieux s’étonnait ainsi dans son journal qu’un si grand homme ait laissé si peu de traces matérielles de son passage dans la ville de sa naissance.
Non que la famille n’y fût pas solidement implantée : les Jean Racine s’y succédaient de génération en génération, de même que les Sconin, sa famille maternelle. Mais des circonstances dramatiques empêchèrent le futur poète d’y demeurer longtemps. Orphelin de mère à deux ans, de père à quatre, il perdit encore son grand-père paternel, qui l’avait recueilli, à l’âge de dix ans (en 1649), et Marie Desmoulins, sa grand-mère et marraine, ne tarda pas à se mettre au service des religieuses du célèbre monastère de Port-Royal-des-Champs. Le jeune garçon la suivit et fut désormais le pupille du monastère et l’élève des « Petites Écoles » de Port-Royal où professaient les meilleurs pédagogues de France (les « Solitaires », bientôt poursuivis pour leurs idées jansénistes). Ainsi, dès l’âge de dix ans, l’enfant de La Ferté-Milon était devenu l’enfant de Port-Royal.
Il faut souligner ce point. Son destin, s’il n’avait pas été orphelin et surtout si sa famille n’avait pas tissé des liens exceptionnels avec Port-Royal, était de devenir comme ses deux grands-pères, son père et certains de ses oncles et cousins, un notable de cette charmante petite ville du Valois qu’était La Ferté-Milon, occupant quelque fonction localement importante dans l’administration des impôts indirects (au « Grenier à sel ») ou de la justice ; ce que sera justement ce M. Rivière jugé digne plus tard d’épouser sa sœur Marie. La bifurcation vers Port-Royal en a décidé autrement.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans l’Aisne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007