La Bouille
La jeunesse normande d’Hector Malot,
par Yves Pincet
(extrait)
Hector Henry Malot naît le 20 mai 1830, vers 3 heures, à La Bouille, petite cité située en bordure de Seine à une vingtaine de kilomètres en aval de Rouen. Quelques heures après la naissance de l’enfant, au petit matin, face à la maison natale, un voilier peine à effectuer une manœuvre difficile, le mât de beaupré se dirige vers la chambre où dort le nouveau-né, puis brise une vitre avant de s’immobiliser. Très vite, la rumeur se répand dans le village et les Bouillais interprètent l’incident comme un signe du destin : Hector Malot aura sans doute une destinée peu commune. Superstitieux, les Normands ? Peut-être, mais il est vrai que la vie de l’écrivain bouillais a été exceptionnelle : auteur d’une soixantaine de romans, il a connu des succès retentissants.
Encaissé dans la vallée, sous de hautes falaises, le port de La Bouille grouillait alors d’une intense activité : il était le lieu de rencontre des navires de haute mer, qui remontaient lentement la Seine jusqu’à Rouen, et des bateaux de rivière, à voile et à moteur. La sensibilité, l’imaginaire du jeune Hector Malot ont été aiguisés par la présence mouvante de ces voiles qui passaient et repassaient devant la maison natale, parfois évocatrices de contrées exotiques. L’imagination du jeune garçon était éveillée, aussi, par les histoires que lui narrait sa mère, une infatigable conteuse qui partageait avec son fils l’amour de la mer, des voyages aventureux. Veuve à vingt-neuf ans d’un capitaine au long cours qu’elle avait épousé en premières noces et qui était mort de la fièvre jaune à Saint-Domingue, elle possédait un répertoire très vaste d’histoires maritimes, les unes empruntées à la réalité historique, telles les invasions des Vikings, d’autres plus anecdotiques, inspirées de récits de navigateurs.
Devenu adulte et romancier, Malot n’a pas oublié son village natal. Il l’évoque dans six de ses romans : Un beau-frère, Miss Clifton (Souvenirs d’un blessé), Sans famille, Pompon, Baccara, Complices. C’est sans doute dans Sans famille, le plus célèbre de ses romans, que Malot brosse le tableau le plus émouvant de La Bouille à travers le regard du jeune Mattia : « Quand, du haut de collines boisées et au détour d’un chemin ombreux, dont nous débouchâmes après une journée de marche, Mattia aperçut tout à coup devant lui la Seine, décrivant une large courbe au centre de laquelle nous nous trouvions, et promenant doucement ses eaux calmes et puissantes, couvertes de navires aux blanches voiles et de bateaux à vapeur, dont la fumée montait jusqu’à nous, il déclara que cette vue le réconciliait avec l’eau, et qu’il comprenait qu’on pouvait prendre plaisir à glisser sur cette tranquille rivière, au milieu de ces fraîches prairies, de ces champs bien cultivés et de ces bois sombres qui l’encadraient de verdure. »
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Seine-Maritime, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007