HESDIN
Prévost d’Exiles, l’abbé aux cent visages
par Jean-Pierre Chevais
(extrait)
Hesdin, janvier 1734, fin de la journée. Une petite cloche vient d’annoncer, depuis le clocheton de la Bretèche, la fin du marché aux grains qui se tient sur la grand-place. Un homme, qui s’était jusque-là mêlé à la foule, hésite sur la direction à prendre, comme s’il ne reconnaissait qu’à moitié les lieux. Tenté de pousser la porte de l’auberge du Bras d’Or dont l’enseigne vante les bières fabriquées avec l’eau de la Canche et qu’ enfant il a connues (son père était brasseur) sinon goûtées, il renonce, s’engouffre dans une ruelle, longe d’anciennes écuries aménagées en collège des Jésuites où il se souvient avoir appris le français, le latin et le grec, revient sur ses pas et, dans le cimetière attenant à l’église Notre-Dame, va droit à une tombe qu’il reconnaît, intacte encore, celle de Marie Duclaie, sa mère, de Thérèse-Claire, de Marie-Anne, ses sœurs, toutes trois mortes l’année de ses treize ans ; ne restent que quelques pas à faire pour achever ce pèlerinage : pont des Moulins, l’un des neuf ponts enjambant la Canche, rue de l’Empereur, et là à droite le lieu où il naquit il y a trente-sept ans.
À nouveau il hésite. Va-t-il frapper, se jeter aux pieds de son père, Liévin Prévost, devenu procureur et conseiller du roi au baillage d’Hesdin, lui demander pardon ? Il abaisse son chapeau pour cacher son visage, fait demi-tour et gagne la porte Vieille.
Arrivé clandestinement d’Angleterre via Calais il y a peu, il vient de séjourner quelque temps à Saint-Omer, puis à Aire-sur-la-Lys, il gagne maintenant Paris. Personne, ce jour-là, heureusement, ne l’a reconnu à Hesdin. Un portrait-robot de lui circule pourtant depuis six ans : « Homme d’une taille médiocre, blond, yeux bleus et bien fendus, teint vermeil, visage plein » dit la lettre de cachet lancée contre lui. Il venait alors de se défroquer, de rompre avec l’ordre des bénédictins qui trois ans plus tôt, suite à son ordination, lui avait donné le nom d’abbé Prévost. Son supérieur avait porté plainte auprès du lieutenant de police ; il lui fallait, pour la seconde fois qui ne serait pas la dernière, fuir la France pour la Hollande et l’Angleterre.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006