HAZEBROUCK
Hazebrouck-en-Flandre ou Le Marais aux lièvres,
par Annie DEGROOTE
(extrait)
Tout était silencieux près du Marais aux lièvres. Quelques moulins des alentours, rescapés des guerres et de l’industrialisation, bruissaient avec le vent. Tout était paisible, jusqu’au jour où… Ce pourrait être un petit conte. Le jour où un juge refusa d’y être muté, la bourgade du Nord fut victime d’une… injustice. On disait : « tu vas être Hazebroucké », comprenez « muté, exilé, embourbé » ou encore : « tu vas atterrir dans un trou »… Ce trou-là, c’est ma ville natale.
Craignait-il de s’y enterrer ? C’est méconnaître la Flandre avec ses traditions, ses ciels mouvementés à la Vermeer et l’accueil chaleureux des gens du Nord. Terre frileuse et triste ? J’eusse aimé, ce jour-là, en être l’avocate. C’était encore trop tôt pour moi, mais la révolte est restée. Et dès que j’osai manier le stylo, je me suis complue à la défendre…
Je ne vis pas dans ma ville. J’y suis née, y fus élevée dans l’amour. J’y ai grandi avec la vigueur d’une solide plante bichonnée à la bière. J’y ai dansé sur les planches de l’Orphéon, me prenant pour Coppelia. Mon imagination vagabondait allègrement vers d’autres mondes. Aussi, quittai-je ma Flandre pour le théâtre et ses chimères, et vingt ans plus tard, j’ôtai mes costumes de scène pour la plume.
Aujourd’hui, dans la solitude de mon antre jouxtant le Père Lachaise, c’est vers la Flandre et son histoire que se portent mes songes et mes écrits. Hazebrouck, c’est la maison de mes parents, une ancienne brasserie, et mon enfance dans les vélos que fabriquait mon père. C’est le couvent des Augustins, aux pignons « à pas de moineau », magnifique bâtisse flamande vers laquelle ma mère emmenait sa petite ballerine toutes les semaines. C’est la rue de la Lune, si étroite et mystérieuse, dans laquelle nous passions pour défier les sortilèges.
C’est le carillon qui ponctuait mes révisions du bac, les géants de carnaval aux yeux écarquillés qui chaloupaient vers une blondinette aux joues rondes, affolée et ravie. C’est la longue passerelle près de la gare, où nous courions pour voir passer les trains. Passerelle construite grâce à l’abbé Lemire, dont la petite maison sommeille dans le béguinage, à l’ombre de l’église. Cet audacieux Flamand, grand homme de Marguerite Yourcenar et d’Albert Londres, eût été brûlé en d’autres temps : homme de foi, il prônait les libertés religieuses. Lié à sa terre mais européen, attaché aux traditions mais votant pour le progrès, parlementaire de droite siégeant à gauche, il ensemença la France de ses « jardins ouvriers ». Cet apôtre de la tolérance força le respect de ses adversaires. Poète de sa chère Flandre, sa maîtrise de la langue française est une leçon d’humilité pour tous les écrivains.
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Extrait de l’ouvrage :Balade dans le Nord, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, février 2005