Jean Tardieu à Gerberoy

GERBEROY

Le créateur d’un langage neuf : Jean Tardieu
par Marie-José SALMON
(extrait)

«Je connais un tout petit jardin du pays de France, au sommet d’un bourg qui fut, au Moyen Âge, une ville très disputée, souvent détruite et reconstruite.

«Ce jardin était autrefois occupé par une chapelle qui, sans doute, était entourée de quelques tombes. La chapelle ayant été détruite il y a plus de cent cinquante ans, le terrain, retourné et dégagé de ses restes humains, est devenu un clos charmant, plein de fleurs, de pommiers et d’oiseaux.

«Pendant que mon regard s’évade vers le ciel jusqu’à voir au-delà de lui-même, et jusqu’à me délivrer du temps, ma mémoire me ramène aux jours où ce jardin paisible était, plus paisible encore, un cimetière, une terre
sacrée .»

C’est par la grâce de grands amis de Jean Tardieu, le graveur Roger Vieillard et son épouse le peintre Anita de Caro, tous deux donateurs importants du Musée départemental où Roger a eu une action déterminante sur la création du Cabinet d’art graphique, que j’ai eu le privilège de me trouver un beau soir à table avec celui qui était alors le plus grand poète vivant de ce siècle, Jean Tardieu. Situation enviable certes mais combien embarrassante, dans l’ignorance quasi totale où j’étais alors de son œuvre ! Mon embarras, à mon profond soulagement, fut de courte durée tant la simplicité, l’affabilité, la gentillesse, le sens de l’humour de mon illustre vis-à-vis, dès ce soir-là, donnèrent à nos rencontres ce naturel, cette drôlerie, cette merveilleuse cordialité et bientôt le caractère affectueusement amical qu’elles allaient garder.

«Ce qu’on s’amuse quand on est ensemble», devait bientôt me dire Jean à la fin d’un déjeuner pittoresque sous l’œil non moins malicieux de Marie-Laure, la remarquable et merveilleuse compagne de sa vie.  Quelques semaines après, ils arrivaient tous deux à Beauvais, nous parcourions ensemble le musée et le tout se terminait dans le jardin de la crêperie voisine où mille questions m’étaient posées sur les œuvres et surtout sur les péripéties de ma vie de conservateur qui les faisaient beaucoup rire ! Ainsi naquit une relation charmante, ponctuée de rencontres et notamment de goûters à Beauvais et à Gerberoy quand la belle saison les y ramenait. Mes hôtes très coquets en fort élégantes tenues de campagne, m’accueillaient dans leur jolie maison donnant sur les marronniers de la place,  maison merveilleusement meublée et fleurie, remplie de livres dédicacés et de tableaux de beaucoup de peintres que le poète évoque dans Le Miroir ébloui. Là, entourés de l’affection de leurs voisins et amis Pierre et Françoise Dumayet, les Tardieu recevaient souvent des peintres, musiciens et écrivains comme Bazaine, Alechinsky, Germaine Tailleferre, Lucien Scheler, Jean et Bébé Cortot, Jacques et Jeanne Busse, Gérard et Anne Macé, André et Monique Frénaud et beaucoup d’autres. La plupart des précisions que j’évoque et évoquerai ici sont dues à l’aimable et précieuse collaboration d’Alix Turolla-Tardieu, la fille de Jean et Marie-Laure.

C’est durant l’hiver 1972-73 que Jean Tardieu a acheté la maison de Gerberoy, non sans hésitation d’ailleurs car on lui avait dit que le petit jardin avait été un cimetière de moines au Moyen Âge. Ce jardin avait le charme des jardins d’autrefois, et j’hésite à employer ce terme à propos de Jean Tardieu, mais il évoquait un jardin de curé sur lequel Marie-Laure veillera avec amour et compétence. On y trouvait toutes les fleurs traditionnelles : la rose, la clématite, le seringa, le phlox d’un rose magnifique, l’énorme et superbe pavot, le muguet, la pivoine ;  les introuvables sceaux de Salomon, les délicieux pommiers, la rhubarbe, les framboisiers, les groseilliers qui faisaient les délices de nos goûters de tartes et de confitures. Ces fleurs avaient le délicat parfum des choses d’autrefois ; les souvenirs d’enfance, tout ce qui constitue en quelque sorte un paradis perdu se trouvaient là.  Pendant les vacances, les Tardieu adoraient recevoir leur fille, son mari et leurs petits-fils et à chaque séjour, il les emmenait faire un pèlerinage dans la forêt de Songeons où toute la famille présentait ses hommages à un énorme hêtre que le plus jeune des enfants prétendait être le dieu nordique Thor.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.

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