PONT-AVEN, ROSPORDEN
Un déjeuner de lumière avec Gérard le Gouic
par Bernard Berrou
Il y avait un soleil spectral sur la baie du Mont-Saint-Michel en cette fin d’été, et comme toujours en ce lieu, quelque soit le temps, un espace aussi grand que le monde. La lumière se répandait à gros bouillons dans le restaurant de Cherrueix. Au fond de l’horizon, parmi le jeu délicat des gris, je vis soudain une cohorte de sombres créatures prostrées comme pour un recueillement. Dans ces lisières indécises où se rencontrent le ciel et la mer je crus voir des pèlerins en procession vers le site de l’Archange, ou un mirage comme il y en a dans les chotts sahariens. Quelle idée !
Ce n’étaient que des bouchots à moules qui se découvraient à marée basse sur l’estran !
Devant moi était assis Gérard Le Gouic. Il est probable que sans sa présence je n’aurais pas fait la démarche cérébrale nécessaire pour imaginer de telles visions. En compagnie de l’auteur du Poème de l’île et du sel et de la Géographie du fleuve, la tentation d’éviter les lieux communs paraît naturelle. Nous avions convenu d’un rendez-vous à Cherrueix où il séjournait chez un ami absent dont il avait la garde du chien durant une semaine. Cette occupation dans un ermitage temporaire lui convenait bien, comme toute forme originale de solitude qu’il s’est toujours plu à rechercher. Rien d’apprêté chez lui, aucune mise en scène, pas de chevelure au vent, pas de gravité néo-romantique dans le regard, encore moins d’emphase dans le ton et le verbe, ce gentleman campagnard ressemble plutôt, par sa rondeur et sa joviale bonhomie, à un moine gourmand sorti tout droit d’un livre de Rabelais.
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Extrait de La Bretagne sud des écrivains, Alexandrines, 2014.