Gentilly Hugo

GENTILLY

Victor Hugo de Gentilly à Créteil : du bonheur entrevu à l’idylle rêvée
par Arnaud LASTER
(extrait)

 

 

Un très beau poème des Odes et Ballades, que Nerval, Baudelaire et Verlaine ont dû lire et relire, a un titre un peu énigmatique, «À G……y» : on dirait une dédicace à un être cher qu’il serait indiscret de nommer tout à fait.

Or les éditions annotées du recueil nous apprennent que «G……y» n’est pas le nom d’un confident privilégié mais celui d’une commune de l’actuel Val-de-Marne, Gentilly, où Hugo séjourna, en avril et mai 1822, auprès de sa fiancée Adèle et des parents de celle-ci, et où il revint, en mai-juin de l’année suivante, avec sa jeune épouse. Quarante ans plus tard, les mémoires publiés sous le titreVictor Hugo raconté par un témoin de sa vieretracent le premier de ces séjours. Sur le manuscrit qui a précédé le texte définitif et qui a été publié en 19851, Adèle illustre ses souvenirs de cette villégiature par la citation  de l’apostrophe au vallon qui clôt le poème de 1823. Elle rapporte que sa famille passait l’été à Gentilly2 et y habitait une maison louée, autrefois presbytère, qui touchait à l’église du village et n’avait conservé de sa primitive construction qu’une tourelle, avec un escalier en colimaçon, où le poète s’installa. «Quatre fenêtres percées aux quatre points cardinaux recevaient le soleil à toute heure. Les locataires avaient un vaste terrain bordé à droite et à gauche de deux avenues de peupliers […]. Une partie de ce terrain, livrée à la culture, avait l’aspect joyeux de la pleine campagne ; le reste était en fleurs. Une des plantations de peupliers était longée par la Bièvre, qui séparait l’ancien presbytère de l’église. De l’autre, on voyait la vallée, gaie et verte.»

Adèle indique que les quatre derniers poèmes des Odes et Poésies diverses, publiées le 4 juin 1822– «La Chauve-Souris», «Le Nuage», «Le Cauchemar», «Le Matin» –, furent écrits «dans la tourelle de Gentilly». Elle évoque ensuite le «camarade» que son frère Paul, alors âgé de douze ans, amenait quelquefois : «gentil garçon, à la taille déliée, aux cheveux d’un blond de lin, au regard ferme et clair, aux narines dilatées, aux lèvres vermillonnées et béantes. Sa figure, colorée, ovale et un peu chevaline, était bizarre en ce qu’elle avait, en place de sourcils, un cercle sanguin. Il se nommait Alfred de Musset. Il égaya un après-dîner d’une bouffonnerie dans laquelle il imita un ivrogne avec une facilité et une vérité extraordinaires.» Le manuscrit publié en 1985 était plus précis : «N’omettant rien de son rôle, il eut l’élasticité vacillante et la parole embarrassée de l’homme ivre.» Et cette même édition a révélé une addition en forme de question : «N’est-ce pas chose triste et à méditer que le séduisant auteur du Chandelier débutât dans la vie en simulant un vice où devait s’éteindre sa flamme.»

Mais revenons au poème de 1823 et achevons d’en décrypter les allusions autobiographiques. L’«astre» qui illuminait alors la vie de Victor Hugo, son soleil, dont il fera le personnage de doña Sol, c’était Adèle Foucher : les deux jeunes gens, âgés respectivement de dix-sept et quinze ans, s’étaient avoué leur amour le 26 avril 1819. L’«ombre à son amour ravie», c’était la mère du poète, morte le 27 juin 1821, une mère vénérée mais qui  avait fait obstacle à leur mariage. Les lettres contemporaines de Victor à sa fiancée attestent la profondeur des sentiments exprimés dans le poème : expérience de la douleur, crainte que le bonheur soit éphémère. «Le tableau que tu me présentes de notre bonheur à Gentilly, écrit le jeune homme en mars 1822, m’a ému et transporté quoiqu’il fût déjà tout entier dans mon attente et dans mon espérance. […] Accoutumé que je suis à souffrir toujours de malheurs inattendus, je regarde […] presque avec crainte dans l’avenir si je puis me confier à toute ma joie. Tout jeune que je suis, la douleur est pour moi une vieille connaissance avec laquelle il me serait maintenant bien cruel de renouer. C’est que je n’ai, moi, que de terribles résignations.»

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Val-de-Marne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2002

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